Salif Keita: “La France a les moyens de sortir le Mali de cette situation”

Salif, quel est ton sentiment sur les évènements qui viennent de survenir au Mali ?

Je suis anéanti et très inquiet. Il faut que les putschistes réalisent bien que depuis qu’ils se sont s’emparés du pouvoir, ils ont la responsabilité de la vie de 15 millions de citoyens maliens dont la plupart sont des pauvres gens. Si la situation devait s’éterniser, avec l’embargo qu’impose la Cedeao ( Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), la fermeture des frontières et les restrictions bancaires qui vont rapidement asphyxier tous les circuits de l’économie, ça va signifier que des milliers de gens qui n’ont déjà pas aujourd’hui la possibilité de faire deux repas par jour vont inévitablement mourir de faim.

Est ce que les effets de l’embargo se font déjà sentir ?

Oui. On peut dire aujourd’hui que le Mali est coupé du monde. Les frontières sont fermées et dans les banques, les retraits sont plafonnés à 500 000 francs CFA (environ 800 euros) par jour. Pour certaines sociétés, cela va se traduire rapidement par l’impossibilité de payer leurs employés ou d’honorer leurs fournisseurs. Bientôt, les Maliens de la diaspora ne pourront même plus envoyer l’argent qui permet à des milliers de foyers de vivre ici. A court terme, on risque la paralysie.

Qu’est-ce que tu attends des putschistes ?

Qu’ils rentrent dans leurs casernes. C’est tout ce qu’on leur demande. S’ils aiment leur pays, ils doivent comprendre qu’ils ne peuvent pas mettre en péril la vie de leurs concitoyens, parce que c’est ce qu’ils font actuellement. Aujourd’hui, le Mali est coupé en deux et si ça continue, il va exploser.

Qu’elle est l’ambiance à Bamako ? Que se passe-t-il dans les rues?

Le couvre feu a été levé mais la situation reste tendue. Entre les partisans des putschistes et les légitimistes, c’est la guerre des nerfs. On reste à la merci d’un embrasement. Les gens sont très inquiets, d’autant que les nouvelles qui nous viennent des villes du nord sont dramatiques. On parle de pillages et d’exodes des populations locales qui fuient face à l’avancée des rebelles.

Une sortie de crise rapide est-elle envisageable ?

Elle est possible si la junte qui a pris le pouvoir revient à la raison, si les mutins regagnent leurs casernes et si l’ordre constitutionnel est rétabli. Ce sera alors au président de l’Assemblée d’assurer l’intérim et de préparer les élections comme le prévoit la constitution. Entre temps, nous devrons songer à restaurer notre intégrité territoriale avec le soutien des troupes de la Cedeao qui a fait savoir par son président, Alassane Ouattara, qu’elle mettrait 2000 hommes à disposition de l’armée malienne.

Tu penses que Kidal, Gao et Tombouctou, les trois principales villes conquises par les rebelles touarègues, peuvent être reprises par les troupes gouvernementales ?

Je ne suis pas expert militaire mais je sais que ces positions n’ont pas été conquises par les rebelles, elles ont été abandonnées par l’armée malienne. J’espère que l’on pourra compter sur les Nations unies, et surtout sur laFrance, pour nous sortir de ce merdier. Il me semble que la France a historiquement une responsabilité dans cette affaire. C’est bien elle qui nous a colonisée non ? C’est bien elle qui a procédé au découpage de nos frontières.

La France se félicite des bonnes relations avec le Mali et les pays de la région quand tout va bien, quand ça lui est profitable. Doit-elle pour autant nous ignorer quand les choses ne vont pas bien ? Nous comptons sur elle, quels qu’aient pu être ses différends avec ATT (Amadou Toumani Touré, le président malien déchu). La France a les moyens de nous sortir de là.

Salif, tu as été supporter de ATT. Le regrettes-tu aujourd’hui ?

(embarrassé) ATT a fait de bonnes choses. C’est lui, rappelons-le, qui a permis à la démocratie d’être instaurée dans ce pays en renversant la dictature de Moussa Traoré. Mais c’est vrai, il n’a pas su gérer le problème du nord. Il s’est montré faible. Ceux qui au sein de son gouvernement étaient chargés de régler les problèmes ne l’ont pas fait. Ils ont juste profité de leur position pour détourner les fonds qui devaient servir au désenclavement des zones du nord. Le résultat, c’est qu’aujourd’hui, nous sommes dans la merde, que des innocents vont mourir et que nous régressons alors que d’autres pays sur le continent progressent.

Je te sens en colère.

Mais oui. Ça ne fait pas plaisir quand même.

Le Mali doit sa notoriété à travers le monde à ses musiciens. Tu es le plus connu d’entre eux. Concrètement, que comptes-tu faire ?

On vient de se regrouper avec d’autres artistes, des éditeurs et des producteurs pour faire valoir notre point de vue. Nous sommes parmi ceux qui avons le mieux contribué au prestige du Mali. Ceux qui gouvernent, ceux qui vont gouverner, doivent nous écouter.

lesinrocks.com

Sun, 08 Apr 2012 13:16:00 +0200

0

Laisser un commentaire

Nous utilisons des cookies afin de vous offrir la meilleure expérience possible sur notre site Web. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez notre utilisation des cookies.
Accepter
Refuser
Privacy Policy