Sortie de crise, moralisation de la vie publique/ Jean Clotaire Tetiali : ‘’Dans l’affaire Koulibaly-Tagro, il y a de la surenchère’’

Photo : DR
Que devient Jean Clotaire Tetiali après le Palais Présidentiel et Africa n°1 ?

Je consacre mon temps à autre chose mais toujours dans le domaine de la communication. J’ai quitté le palais pour des raisons que je ne peux, par charité chrétienne, évoquer ici. J’ai quitté Africa N1 parce que la correspondance radio devenait trop prenante pour moi. Les reportages, le décryptage, les envois téléphoniques, bref la collecte et le traitement de l’info ne sont pas une sinécure. Je n’ai plus suffisamment de temps à y consacrer.

Quels sont aujourd’hui vos rapports avec le Conseiller spécial Silvère Nebou et quel regard jetez- vous sur la communication présidentielle ?

Malgré ses dehors innocents, votre question est tendancieuse. Je vous vois venir. Sachez que l’évocation de ce nom n’a pour moi aucune charge émotionnelle particulière. La presse, précisément les journaux auxquels j’ai accordé une interview ont tous eu tendance à lier ma vie à celle du conseiller spécial Nebou. Nous n’avons pas de relations biologiques mais nous avions plutôt eu des relations professionnelles qui ont pris fin le plus normalement du monde. Il est vrai qu’à un moment donné de notre histoire professionnelle commune nos vues n’ont pas toujours été symétriques et conciliables. Il ne faut pas en faire un drame. Bien au contraire, la contradiction est belle et dynamise le débat. Voilà ma conviction. N’est-ce pas que l’écrivain Djibril Tamsir Niagne que vous me permettrez de paraphraser disait que la beauté d’un tapis vient de la variété de ses couleurs. Ce qu’il faut retenir c’est que , Silvère Nebou reste un ancien collègue et patron, un concitoyen, un aîné comme toute personne de plus de 46 ans. Pour ce qui concerne la communication présidentielle, je n’ai aucun jugement à porter car je ne connais pas le feed-back du Président de la République. Lui seul sait les raisons qui ont sous- tendu le choix de ses collaborateurs et ce qu’il en attend. Est-il satisfait, ne l’est-il pas, je n’en sais strictement rien. J’observe seulement que le service communication de la Présidence de la République se bat sur plusieurs fronts déjà au plan intérieur et aussi contre de sérieux contradicteurs internationaux ; notamment la presse française qui, elle, ne fait plus mystère de son désir de déstabiliser le régime de Gbagbo et qui est dotée de gros moyens de communication. Il ya donc là un fâcheux déséquilibre des forces en présence. Il faut alors souhaiter beaucoup de créativité, de courage et de combativité à Silvère Nebou et à son équipe.

C’est sans rancune… ?

La rancune contre qui, pour être parti du palais ?
Les ressentiments, la rancune, la jalousie sont des sentiments qui ne s’inscrivent pas dans mon tempérament. Et puis, travailler au palais n’est pas une fin en soi. Maintenant je vous prie de retenir que la dynamique de la vie d’un homme n’est pas toujours linéaire c’est-à-dire qu’elle n’évolue pas nécessairement en ligne droite. Il y a, dans le désordre, des moments d’équilibre, d’incertitudes, de flottements de joie, de peine et d’éclosion dans la vie de chaque homme. L’ordre reste l’affaire de Dieu. Et puis, est-ce un drame que de faire valoir ses compétences ailleurs qu’à la Présidence de la République.

Changeons de sujet. Quelle est votre lecture de l’Actualité politique ivoirienne ?

Votre question ayant l’avantage pour moi d’être imprécise, je ne me limiterai qu’à l’accord politique d’Ouagadougou et des différentes incompréhensions qui découlent de son application. Comparé à l’accord de Marcoussis qui a consacré ce tsunami politique ivoirien et plongé la Côte d’Ivoire dans un magma de difficultés, l’Apo est incontestablement le meilleur parce qu’il a le mérite d’accorder sur un minimum deux camps aux vues initialement et fondamentalement inconciliables. C’est un pas déterminant sur le chemin de la réunification du pays. En clair, Intrinsèquement, l’accord politique d’Ouagadougou est bon. Seulement pour qu’il soit efficient il faut un peu de bonne foi de la part de ses signataires. La difficulté majeure est qu’il y a des acteurs politiques qui croient que c’est Paris le centre de la légitimation, attendant que la France ou une certaine oligarchie financière mondiale vienne établir ici un ordre nouveau conforme à leurs intérêts. Retenons donc que si l’Apo ne prospère pas ce ne sera certainement pas du fait de ses concepteurs ou initiateurs mais plutôt de celui de certains hommes politiques ivoiriens. Certaines personnes l’ont critiqué mais sans propositions nouvelles. L’accord en présence est donc pour le moment sans commune mesure. Cela dit, j’ai aussi la conviction qu’il faut par tous les moyens discuter avec la France qui reste, si ce n’est pas le principal, un acteur de taille dans la crise ivoirienne. Elle l’a montré dans plusieurs circonstances.

Comment est-ce possible quand l’idée que Paris n’aime pas Gbagbo fait du chemin ?

Paris n’aime pas Gbagbo c’est apparent ; je ne m’y méprends pas. Il demeure tout aussi vrai que Paris n’aime personne, Paris n’a que des intérêts. Récemment l’Elysée a invité le président Gbagbo ; il faut y déceler une volonté de normalisation des relations, de rapprochement, tout en restant prudent, et trouver la formule exacte pour donner forme à toutes ces velléités de repositionnement de la France en Côte d’Ivoire. Je crois que le Président lui-même l’a si bien compris qu’ il dit vouloir d’abord discuter et vider le contentieux ivoiro-français autour d’une table.

Il y a en ce moment dans le pays une crise. Celle qu’il est convenu d’appeler l’affaire Mamadou Koulibaly-Désiré Tagro. Certains députés ont demandé une enquête parlementaire, reprochant au ministre Désiré Tagro des faits de détournement, de corruption, de racket, d’abus de biens sociaux etc. Mais le Président a plutôt choisi la voie du tribunal. Qu’en pensez-vous ?

Cette crise est de trop et nous détourne de l’essentiel ; c’est-à-dire l’épuration de cette liste électorale, le désarmement, les élections et bien d’autres problèmes qui meublent le questionnement existentiel quotidien des Ivoiriens. Le problème étant posé, le chef de l’Etat a décidé qu’une enquête soit menée. Sa réaction est légitime car Désiré Tagro, je crois savoir, a toujours eu la confiance du Président qui en a fait son ministre de l’Intérieur c’est-à-dire un acteur de ce processus électoral interminable que nous voulons tous limpide. Désiré Tagro devrait donc représenter une garantie de bonne moralité. L’enquête peut tout aussi être l’occasion de le blanchir une fois pour toutes ; car dans ce pays trop d’histoires se racontent non sans l’équation personnelle de leurs auteurs. Les faits sont gravissimes. On parle d’environ mille trois cents admis au concours de police, tous de la région natale de Tagro, de dix milliards de FCFA que la Sagem aurait donnés au ministre mis à l’index et également de pots-de-vin perçus dans l’affaire Trafigura. Pour dire vrai, puisque vous voulez mon avis, tout cela m’apparaît insipide et surtout énorme donc insignifiant. Je peux aussi d’ores et déjà vous dire, étant moi-même fils de la région, qu’il y ait plus de 70 policiers à Saioua et Nahio confondus, représentant les 42 villages du canton Yokolo. Je voudrais aussi faire remarquer, si ma souvenance est bonne, que le processus du choix de la Sagem comme opérateur technique de l’identification en Côte d’Ivoire s’est opéré sous le premier ministre Konan Banny. L’ex-premier ministre avait mis sur pied un comité interministériel dirigé, en son temps, par le ministre Bohoun Bouabré. Je me rappelle aussi que le Fpi s’en était d’ailleurs plaint, redoutant la main de Paris derrière le choix de la Sagem. Nous journalistes sommes des témoins de l’histoire et des historiens de l’actualité, ne nous perdons pas. Cela dit, pour les autres questions soulevées, je n’ai aucun élément de réponse et reste à mille lieux, attendant que les enquêtes nous en disent plus. Au total, je garde le secret espoir que les résultats des investigations du Procureur de la République donnent l’occasion de punir les hommes politiques véreux coupables de détournements et aussi et surtout de sanctionner ceux qui donnent dans la rhétorique de l’injure facile, de l’accusation sans fondement et de la diabolisation gratuite. Pour répondre au deuxième aspect de votre question, je pense que le Président de la République a eu le nez creux en évitant l’enquête parlementaire. D’abord, Le principal contradicteur de Désiré Tagro est Mamadou Koulibaly, et ensuite pour la simple raison que la déclaration des parlementaires désignait déjà ‘’ le ministre de l’Intérieur coupable de fraudes massives, de corruption, de racket’’ et réclamait sa comparution immédiate devant la justice sans l’ombre même d’un début de preuve ni sans attendre l’entame de l’enquête. Ce fut une erreur qui, de mon point de vue, s’apparente à un acharnement.

Pensez-vous qu’il existe une cabale contre le ministre de l’Intérieur ?

Je n’affirme rien, mais il y a comme de la surenchère avec un arrière-goût de lynchage médiatique aux allures d’assauts en règle contre un ministre de la République. Je tiens en outre à dire que la guéguerre Koulibaly- Tagro, convoque quelques interrogations sur l’organisation fonctionnelle même du Fpi, sa dynamique interne et le contrat social qui régit les rapports entre les animateurs de ce parti.

Une question pour terminer : vous avez un peu commenté l’action du Président Gbagbo, mais que pensez-vous de Bédié et Ouattara ?

Je n’ai rien à penser d’eux, de leur personne. Je ne suis pas pour le fétichisme des individus. Parlez-moi de leur programme de gestion de la Côte d’Ivoire, je vous dirai ce que j’en pense. Je leur souhaite à tous, Gbagbo, Bédié et Ouattara, beaucoup de chance dans la course au fauteuil présidentiel

Avec le partenariat de L’Intelligent d’Abidjan / Par Charles Kouassi

Wed, 23 Jun 2010 02:44:00 +0200

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