Yao N’Dri Adolphe avertit : “Une rébellion se prépare à l’ouest”

Est-ce que, Monsieur le préfet, Guiglo, la capitale régionale du Cavally est à l’abri d’une attaque face aux incursions meurtrières qui, de façon récurrentes, touche la ville de Taï, l’une de ses sous-préfectures, située à une cinquantaine de km ?

Yao N’Dri Adolphe : C’est difficile de le dire. Taï, comme vous le savez est une sous-préfecture de Guiglo, donc ce qui arrive à Taï peut aussi arriver à Guiglo, si rien n’est fait dans l’immédiat. Parce que, vous le savez, au départ, dans les premières attaques, ceux qui venaient attaquer du Libéria, c’est-à-dire les assaillants n’étaient pas nombreux. Ils étaient une dizaine, tout au plus. Puis, à la troisième attaque, leur nombre s’est accru. Nous avons dénombré une quarantaine. Mais, aujourd’hui, leur nombre a davantage grossi. Il sont passés de la dizaine de personnes au départ à 150 aujourd’hui. Çà prend de plus en plus des proportions inquiétantes. On ne sait donc pas ce qui pourrait arriver, notamment contre Guiglo, la capitale régionale, dans les prochaines semaines si des dispositions pratiques, des mesures vigoureuses ne sont pas prises très rapidement pour contrer ce phénomène qui fait de plus en plus de morts à l’ouest. La menace est réelle, il faut au plus vite agir.

Qu’est-ce qui, selon vous, peut se cacher derrières ces attaques récurrentes. Ont-elles un caractère purement crapuleux, c’est-à-dire des gens affamés qui viennent voler en Côte d’Ivoire pour retourner après, ou alors y a-t-il une réelle volonté de déstabilisation du régime Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire ?

Y.N.A : Il faut tout de suite écarter l’idée d’attaques guidées par des motifs crapuleux. Je crois qu’il y a une réelle volonté de déstabiliser le régime en place. Si c’était de simples attaques, on aurait compris. Mais quand ces bandes armées lancent leurs assauts, non seulement, ces gens tuent et volent, mais leur dessein réel est de déstabiliser le régime en place. Et cela est clairement affiché, aussi bien dans leurs actes que dans leurs propos. Je suis convaincu que ceux qui attaquent, dans leur esprit, c’est pour mener une rébellion à l’ouest. Je puis vous assurer, aujourd’hui, qu’une rébellion de grande envergure se prépare à l’ouest. Il faut, dès aujourd’hui, prendre les mesures qui s’imposent pour éloigner ces assassins qui ne veulent pas de développement à l’ouest. Le président de la République est venu ici et une lueur d’espoir pointe à l’horizon pour ces populations meurtries par tant d’années de crise. Toutes les administrations ont repris vie. Toutes les infrastructures, notamment sanitaires, routières et scolaires ont été réhabilitées, grâce au Programme présidentiel d’urgence ( Ppu). L’ensemble du corps préfectoral a été doté en matériels roulants et leurs résidences réhabilitées. Dans les prochains mois, de grands chantiers sont annoncés. Un changement qualitatif est en train de s’opérer à l’échelle de la région du Cavaly. Mais cela semble ne pas plaire à d’autres personnes, qui, en secret nourrissent de noirs desseins pour la région. Nous disons qu’il faut qu’ils arrêtent de martyriser le peuple de l’ouest qui a assez souffert des dix dernières années de crise.

Vous voulez donc dire qu’il y a une rébellion qui se prépare dans l’ouest ivoirien ?

Y.N.A : Il y a une rébellion qui se prépare à l’ouest. D’après des experts qui sont place et qui fournissent des informations relatives à ces attaques, et toutes les Forces militaires qui étudient ces attaques sont formels : c’est une rébellion qui se prépare à l’ouest. Ces attaques n’ont rien avoir avec des attaques crapuleuses. Moi, en tout cas, je suis convaincu qu’il s’agit bel et bien d’une rébellion qui est en préparation, il n’y a pas de doute, surtout si l’on s’en tient au mode opératoire des assaillants et des moyens en termes d’armement dont ils disposent. C’est une véritable armée bien organisée qui opère à partir du Liberia.

Ne pensez-vous pas que le foncier rural, avec son lot d’occupations anarchiques des terres par des gens armés à l’ouest, les expropriations des plantations, les raquettes des planteurs par des bandes armées, n’y sont pas pour quelque chose dans les attaques de l’ouest. ?

Y.N.A : Peut-être que le foncier rural peut avoir un aspect dans ces attaques. Mais, je suis formel. Nous sommes en face d’une rébellion qui se prépare à l’ouest. Le problème du foncier rural, à l’ouest, c’est vrai, est réel. Il y a quelques petits conflits qui naissent çà et là en interne entre les communautés. Mais, pour l’heure, je pense qu’il s’agit d’une vraie déstabilisation du régime en place. Aujourd’hui, au regard des informations dont je dispose, je ne peux pas faire le lien entre ces attaques et la question du foncier rural. Il s’agit plutôt des manœuvres de déstabilisation du pouvoir. Néanmoins, je voudrais lancer un appel au calme et à la sérénité aux populations du Cavally. Le gouvernement a pris la mesure du danger et est en train de prendre des dispositions sécuritaires durables afin que ces attaques ne se reproduisent plus. Je demande aux populations de vaquer à leurs occupations, le gouvernement assurera pleinement ses responsabilité régalienne de sécurisation des populations. D’ailleurs, les manœuvres militaires qui débutent cette semaine à l’ouest en sont une parfaite illustration de la volonté du gouvernement à décapiter cette rébellion qui se prépare.

Quelle disposition sécuritaire durable faut-il envisager à l’ouest. Outre ces manœuvres militaires qui démarrent à partir d’aujourd’hui vendredi 15 juin 2012. Ces manœuvres militaires tripartites, menées conjointement par les Frci, Onuci et la Minul le long de la ligne frontalière long de 700 Km, pensez-vous qu’elles sont suffisantes pour sécuriser l’ouest de façon efficiente ?

Y.N.A : Les mesures qui seront prises par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire ( Frci) et l’Onuci sont les bienvenues et je pense qu’elles seront bonnes pour les populations de l’ouest. Je crois à cela. Mais je pense qu’il y a des travaux préliminaires à faire avant toute action de sécurisation. On ne le dira jamais assez, il faut, dans ce coin-là, refaire les routes. Le tronçon Taï-Guiglo, Taï -Para-Guiroutou est abimé. Sur toute la ligne frontalière les routes sont impraticables. Il faut absolument désenclaver ce coin par des routes carrossables. Quant la sous-préfecture de Taï le sera, on aura de moins en moins d’attaques dans cette zone. Les villages et les Sous-préfectures sont quasiment inaccessibles. Quelques fois, il arrive que les véhicules militaires qui vont en intervention s’enfoncent et n’arrivent pas à destination. Tous les efforts de sécurisation seront vains tant que les routes dans cette zone ne sont pas refaites. Parce que les assaillants se disent : « de toutes les façons on peut opérer tranquillement parce qu’il n’y a pas de route et donc nous ne serons pas inquiétés ». Voilà le vrai défi de la sécurisation durable de l’ouest. Il faut faire des routes qui relient les villages à la sous-préfecture de Taï et de Guiroutou. Quand se sera fait, il faut penser à équiper les Frci d’un hors-bord sur le fleuve Cavally pour permettre aux agents de patrouiller. Parce les assaillants quittent le Liberia et quand ils rentrent dans la forêt noire de Taï, on ne peut plus les rattraper. Ces assaillants traversent le Cavally à bord de pirogues, en provenance du Liberia pour venir commettre des tueries en Côte d’Ivoire. Il faut donc un hors-bord aux Forces républicaines. Par ailleurs, il faut intensifier les patrouilles militaires, tant sur le fleuve Cavally que dans la forêt qui compte de nombreux points de passages clandestins. Ce sont des pistes que ces assaillants connaissent et empruntent après avoir traversé la fleuve Cavally. Ce sont ces mêmes pistes qu’ils empruntent pour retourner au Liberia. Ce sont des passages à sécuriser.

On attribue ces attaques à des ex-combattants pro-Gbagbo et autres mercenaires qui sont basés au Liberia dans des camps de refugiés. Est-ce que vous les avez formellement identifiés, si oui, quel est leur nombre ?

Y.N.A : On ne les a pas encore dénombrés et comptés. Mais ce qui est sûr, d’après les renseignements dont nous disposons, sur les 150 assaillants qui ont attaqué, il y a plus d’Ivoiriens que de Libériens. C’est ce qui ressort de nos enquêtes. C’est vrai, ces assaillants se recrutent parmi les refugiés ivoiriens qui sont au Liberia. Mais, nous ne connaissons pas encore leur nombre exact.

Ces attaques ont eu pour conséquence des déplacements massifs de populations. Peut-on avoir le nombre de ces déplacés.

Y.N.A : Selon les premières statistiques, on en dénombre au moins 6.000 personnes déplacées qui sont en ce moment à Taï. Avec la dernière attaque, le nombre s’est certainement accru.

Avez-vous une idée du nom du chef de guerre qui est supposé être derrière la rébellion qui se prépare à l’ouest ?

Y.N.A : Non, nous n’avons pas encore son nom. Nous n’avons jusqu’à ce jour aucune idée du chef de guerre qui se cache derrière ces attaques. Nous poursuivons nos renseignements auprès de certains refugiés qui retournent en Côte d’Ivoire. Mais, comme vous pouvez l’imaginer, il est difficile de le connaitre. Les chefs de guerre qui étaient au Libéria, il y a en qui sont rentrés depuis en Côte d’Ivoire.

On parle d’un certain Bob Marley qui serait à la tête. Il aurait dirigé ici à Guiglo une faction du Flgo. Qu’est ce vous en savez ?

Y.N.A : Oui, Bob Marley a effectivement dirigé le Front de libération du grand-ouest (Flgo) ici à Guiglo et son nom a beaucoup circulé ici ces derniers temps. Il est fort possible qu’il soit dans cette rébellion qui se prépare. Mais, pour l’heure nous n’avons pas encore la preuve formelle de son implication. Nous avons des informations sur lui que nous recoupons. Bob Marley est l’un des chefs de guerre qui sont toujours au Liberia. Je crois que sa présence à la tête des assaillants n’est pas une hypothèse à exclure. Bob Marley n’est pas encore rentré en Côte d’Ivoire. Il est fort possible qu’il soit derrière ces attaques. Il est fort possible qu’il soit présent dans les camps d’entrainement des mercenaires libériens. Mais je dis que certains chefs de guerre sont rentrés en Côte d’Ivoire et ils sont nombreux qui sont toujours au Liberia.

Y a-t-il, des conditions au retour de ces chefs de guerre qui hésitent à rentrer en Côte d’Ivoire. ?

Y.N.A : Il n’y a pas de condition particulière. Le chef de l’Etat, le président de la République, SEM Alassane Ouattara a lancé un appel au retour à tous pour rentrer au pays. Evidemment, ceux qui n’ont rien fait vont regagner leur domicile à leur retour. Ceux, qui, au contraire ont du sang sur les mains, qui sont impliqués dans des massacres des populations, vont, de toute évidence répondre de leurs actes devant les tribunaux. La Cote d’Ivoire n’innove pas en la matière. C’est ce qui ce fait dans tous les pays du monde.

Le gouvernement libérien vient de fermer sa frontière avec la Côte d’Ivoire. Quel est l’impact de cette mesure sur votre département, notamment sur les activités économiques ?

Y.N.A : D’abord, si c’est pour assurer la sécurité, aux frontières, c’est une bonne chose. Parce que cette mesure de fermeture pourrait aider à contrôler les mouvements des uns et des autres de part et d’autres de la frontières et freiner les vas et vient des gens de tout acabit. En cela nous pensons que c’est une bonne décision de sécurisation de l’ouest. Pour ce qui est de l’impact sur les activités économiques, il est trop tôt pour faire le bilan, parce que c’est seulement avant-hier ( Ndlr 12 juin 2012) que cette mesure est véritablement entrée en vigueur. Donc, pour l’heure on ne peut pas mesurer et jauger son impact sur les activités économiques. On attend de voir comment cette mesure va fonctionner dans les jours à venir.

Un des problèmes de fond ici reste la porosité de la frontière avec le Liberia. Avez-vous une idée des points de passage clandestins en dehors des passages officiels ?

Y.N.A : Il doit y avoir beaucoup de points de passage clandestins. Comme vous pouvez le savoir, il n’y a pas de frontière dument matérialisée véritablement entre la Côte d’Ivoire et le Liberia en dehors des fleuves Cavally et le Nuon du côté de Toulépleu qui constituent des frontières naturelles. Les points de passage officiel sont connus de tous… Pour le reste, c’est la grande forêt qui sépare les deux pays qui est le passage privilégié aussi bien des assaillants que des personnes ordinaires. Les gens vont et viennent par ces points de passage clandestins. Je crois savoir qu’à Toulépleu, on en dénombre au moins 42. Les experts parlent d’une centaine environ de points de passage répertoriés sur la frontière qui est longue, il faut le rappeler, d’au moins 700 Km et qui par du département de Danané en passant par Toulépleu, pour atteindre Taï, Grabo et Tabou.

Avez-vous effectué des missions de sensibilisation envers les refugiés ivoiriens basés à Zwedru au Liberia d’où on soutient que ces attaques partent contre la Côte d’Ivoire ?

Y.N.A : Moi, personnellement, non. Je ne me suis pas encore rendu au Liberia. Mais je sais que nos collègues de Blolequin et Toulépleu y sont allés à plusieurs reprisses pour inviter les Ivoiriens à rentrer au pays. Cet appel a été entendu par certains. Quant aux autres, ils sont restés sourds. Certains sont venus voir, puis sont restés. D’autres sont venus et sont repartis, pour des raisons qui leur sont propres.

Interview réalisée à Guiglo par Armand B. DEPEYLA in Soir Info
(Envoyé Spécial à la frontière ouest)

Fri, 15 Jun 2012 19:20:00 +0200

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