Roger Buangi Puati (Pasteur, Écrivain) : “Le racisme n’est pas mort”

Lors de ses études en République démocratique du Congo, Roger Buangi Puati n’a jamais abordé la traite négrière. «C’est une question honteuse pour les Européens et pour les Africains!», affirme le premier pasteur noir de l’Eglise réformée du canton de Vaud. Arrivé en Suisse il y a 33 ans pour fuir le régime de Mobutu, ce licencié en théologie a consacré un livre au thème Christianisme et traite des Noirs (Editions Saint-Augustin). Pour lui, la mémoire de l’esclavage marque au fer rouge le racisme anti-Noirs qui soulève tant d’indignation depuis la mort de George Floyd le 25 mai.

 

Aux Etats-Unis, des manifestants antiracistes s’en sont pris à des églises. Faut-il y voir une mise en accusation du christianisme ?

Roger Buangi Puati : Il est vrai que les Eglises ont apporté une caution morale à la traite négrière et à l’esclavage. Aux 16e, 17e et 18e siècles, elles sont très écoutées, y compris par les souverains. Si elles avaient eu une parole plus humaine, plus prophétique, je pense que les choses n’auraient pas pris une telle ampleur. Quatre siècles d’esclavage, c’est long!

La Bible n’est pas raciste: la femme de Moïse, la reine de Saba et le haut fonctionnaire éthiopien baptisé par l’apôtre Philippe sont noirs. La fiancée du Cantique des cantiques chante «Je suis noire, mais je suis belle»…

– «Je suis noire et je suis belle !» L’hébreu n’y met pas d’opposition. Mais vous voyez, la traduction est connotée.

La tradition chrétienne imagine que le Roi mage Gaspard ou saint Maurice sont Noirs. Quand les préjugés négatifs arrivent-ils ?

– Une rencontre décisive a lieu en 1441. La peste a ruiné les économies européennes et les Portugais, marins aguerris, s’aventurent sur les côtes africaines. Ils trouvent des empires bien organisés. Désirant faire du commerce, ils tissent des liens avec le royaume Kongo, échangent des ambassadeurs, envoient des missionnaires. En 1492, le roi du Kongo se fait baptiser avec ses sujets.

L’année de la découverte de l’Amérique ?

– Oui. L’effort de mission va se déplacer de l’Afrique, qu’on connaît déjà, vers l’Amérique. Le premier évêque noir est ordonné en 1517, mais les tensions liées à la traite vont faire disparaître cette première Église africaine.

La colonisation de l’Amérique change le regard des Européens sur les Noirs ?

– Les colons ont besoin de bras. Charles Quint officialise la traite négrière en 1517. Commence alors la déportation, que je distingue de l’esclavage: celui-ci a existé dans toutes les civilisations. Mais cette déportation massive de dizaines de millions d’êtres humains vers un autre continent, sans espoir de retour, est un fait unique dans l’histoire de l’humanité. Alors qu’il n’y a pas de guerre déclarée, rien, aucune raison de s’emparer de ces gens! Très vite, on trouve toutes sortes d’arguments pour justifier l’injustifiable, y compris dans la Bible. On prétend que les Noirs sont les descendants de Cham, le fils maudit de Noé, que c’est leur destin d’être esclaves. Les quelques religieux qui s’insurgent contre ces pratiques sont ostracisés. Un grand prédicateur comme Bossuet, au 17e siècle, affirme que condamner l’esclavage, «c’est condamner le Saint-Esprit qui ordonne aux esclaves, par la bouche de Paul, de demeurer en leur état».

Comment comprendre de telles paroles dans la bouche d’un prêtre ?

– C’est un homme de son époque. Aujourd’hui aussi, de grands intellectuels qu’on interroge à la télé ne parlent que des Noirs qui pillent les magasins. «Une personne a été tuée par un policier, c’est inacceptable, certes, mais de là à tout casser…» Ils ne voient pas cette vague qui monte depuis des années. Cette lassitude, dans la communauté noire, de devoir répéter sans cesse que nous sommes des êtres humains. J’ai dit à une personne qui me demandait pourquoi les Noirs manifestaient aussi en Europe après la mort de George Floyd: «En quoi Charlie Hebdo te concernait-il, puisque tu vis en Suisse? On a pourtant vu des gens arborer des macarons ‘Je suis Charlie’. Et quand les tours jumelles sont tombées, ne t’es-tu pas sentie en deuil?».

Revenons à la Renaissance. Les papes ont joué un rôle trouble: en 1454, Alexandre V autorise l’esclavage des Africains. Puis en 1537, Paul III excommunie ceux qui réduisent les Indiens en esclavage! Comment s’y retrouver?

– Les papes tâtonnent. Il y a les intérêts économiques des souverains européens avec lesquels ils sont liés; et il ne faudrait pas assécher cette manne qui vient relever la chrétienté occidentale. La réflexion théologique est parasitée par les intérêts économiques.

Comment se fait-il que les Africains n’aient pas eu, comme les Indiens, un Bartholomé de las Casas pour les défendre?

– Je crois que c’est à cause de leur couleur. Le noir, c’est la couleur du diable. Les Indiens ressemblent davantage aux Européens. Le dominicain Bartholomé de las Casas n’a rien écrit à ma connaissance en faveur des Africains, mais des auteurs postérieurs prétendent qu’à la fin de sa vie, il a regretté d’avoir permis l’esclavage des Noirs pour protéger les Indiens.
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Fri, 12 Feb 2021 12:04:00 +0100

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