Le célèbre ‘’Carrefour Garage’’ de la Riviera 2 Anono se caractérise tous les soirs par un embouteillage d’ambiance, d’alcool et de sexe. À la grande joie des noctambules et au grand dam des habitants du voisinage.
« Tu fais quoi au ‘’Carrefour garage’’ la nuit-là ! Ici, c’est le lieu de rendez-vous des jeunes filles qui se prostituent là, hein ! ».
Une voix féminine qui me semble familière m’interpelle dans le dos, ce premier samedi soir du mois d’avril, autour de 21 heures, au ‘’Carrefour Garage’’, à la Riviera 2 Anono, devant la pharmacie St Athanase, qui grouille de monde. Surpris et quelque peu gêné par cette interpellation, je me retourne brusquement. Et qui vois-je ? Mlle Francine G., une amie, pâtissière de profession, qui habite à Anono-Flambeau. Après les salutations, je lui fais comprendre avec un petit sourire forcé, que je suis au fameux ‘’Carrefour Garage’’ pour des raisons professionnelles. Elle sourit à son tour, puis reprend son chemin.
En effet, pure coïncidence, j’ai décidé ce samedi soir, de vivre ou revivre l’ambiance du célèbre ‘’Carrefour Garage’’, de la Riviera 2 Anono, dont la renommée a atteint plusieurs communes d’Abidjan. Au point d’être même surnommé par certains noctambules, ‘’La petite Rue Princesse’’, en faisant allusion à l’ex-‘’Rue Princesse‘’ de Yopougon-Selmer. À cause de l’ambiance, de l’alcool et de la prostitution qui règnent toutes les nuits au ‘’Carrefour Garage’’ et aux alentours.
Dans un rayon de 3 000 à 4 000m², de part et d’autre du ‘’Carrefour Garage’’ et de la pharmacie St Athanase, il y a une centaine de maquis, bars, caves, restaurants et ‘’gbailaidromes ‘’. Que dire alors de la dizaine d’hôtels de passe dans la zone, avec leur fameuse ‘’ampoule rouge’’ à l’entrée. Et les jeunes filles prostituées alignées devant, toutes aguichantes et aguicheuses, les unes que les autres, à visages découverts. Et la première que je vois d’ailleurs, autour de 21H30mn, c’est toujours devant la pharmacie St Athanase. C’est une jeune fille habillée dans une robe près du corps, très courte, hyper moulée, qui dessine ses seins, son corps et laisse apparaître complètement ses grosses cuisses. Elle vient prendre des unités de portable chez un cabinier appelé Serge. « Houun… C’est qui ça ! Ça c’est ‘’kplôclé’’ (NDLR : prostituée) », s’exclament en chœur, comme s’ils s’étaient entendus, des jeunes gens assis sur un banc, autour d’une vendeuse de pains fourrés, devant la pharmacie. Après avoir pris ses unités, la jeune fille, rebrousse chemin, traverse la grande voie, à l’opposé de la pharmacie. Et se dirige dans la ruelle non-bitumée, menant à l’hôtel ‘’Ici on est au Carrefour garage’’, qui continue jusqu’au maquis-hôtel ‘’Rubi’’ et au placalidrome de 5h du matin ‘’Chez Tantie valé’’, collé à la pâtisserie ‘’L’épis gras’’.
Et les jeunes gens avaient vu juste. La jeune fille que je suivais discrètement pour vérifier les propos tenus à son endroit, s’arrête effectivement devant la maison basse avec une ‘’étoile rouge‘’ sur la façade, qui correspond bien à l’hôtel ‘’Ici on est au carrefour garage’’, avec d’autres jeunes filles à l’entrée. Je l’approche doucement, en jouant les timides. « On peut causer ? », me murmure-t-elle. « Euh…Oui, c’est combien un coup ? », répondis-je. « C’est 5.000F ! », dit-elle. « Ah, bon ? Un seul coup-là ? Comment ça ! », marquai-je mon étonnement. « Ah, c’est comme ça. La chambre ventilée, c’est une heure 2.000F et moi c’est 3.000F un coup », précise-t-elle, sereine, après avoir allumé une cigarette.
Elle ajoute que la chambre climatisée coûte 3000F l’heure et 8000F ou 10000F la nuit. La passe, c’est toujours 3000F. « Bon, j’ai compris. Je reviens tout à l’heure », répondis-je. ‘’Un plan‘’ pour prendre le large. Et aller vérifier la température devant d’autres hôtels qui ‘’encerclent’’ le ‘’Carrefour garage’’. Il est 22 heures. Dans le prolongement de l’hôtel ‘’ICI ON EST AU CARREFOUR GARAGE’’, je m’approvisionne en viande ‘’choukouya’’ chez les vendeurs Mohamed et Abdoul, à côté du maquis ‘’Chez Francky‘’. Où une jeune femme complètement éméchée, habillée dans une robe moulante de couleur sombre, un morceau de bois à la main au bord de la route, tente de frapper un monsieur. « Pourquoi tu tapes sur mon sexe…hein, ? pourquoi tu tapes sur mon sexe ? », lui lance-t-elle en dandinant, devant de nombreux curieux et des clients d’un ‘’gbailaidrome’’ (lieu de vente de boisson traditionnelle très forte), situé tout juste à côté de ‘’Chez Francky’’. Le monsieur qui semble être aussi ivre s’éloigne sans riposter.
Moi, je continue mon chemin jusqu’au maquis-bar le ‘’Rubi’’, où je vois entrer un jeune artiste-sculpteur que je connais depuis Cocody-centre. Je me cache pour ne pas qu’il me voit. Parce que je ne sais pas ce qu’il va y faire. L’ambiance est surchauffée au ‘’Rubi’’. L’alcool coule à flot. Les filles sont presque dénudées, les unes que les autres, cigarettes au bec. Une centaine de mètres plus loin au maquis ‘’Petit Poto’’, collé à la pâtisserie ‘’L’Epis Gras’’ et au ‘’Placalidrome Chez Tantie Valé’’, ça chauffe aussi. Cette zone appelée aussi ‘’Ancien tchapalodrome’’, est prise d’assaut par des noctambules. Certains sont assis dans les caves et ‘’gbailaidromes’’ précaires au bord du terrain de football. Après y avoir pris la température qui monte, monte, je décide de revenir sur mes pas au ‘’Carrefour garage’’. Il est 23 heures. Je reçois un coup de fil d’Ismaël Terry, technicien en électricité, une autre connaissance, qui habite la ruelle qui passe dans le dos de la pharmacie St Athanase. Où se trouvent les célèbres maquis et caves ‘’Assinie’’ et ‘’Chez Michou’’, ouverts 24h/24h, avec la musique à volonté. Je l’attends à l’entrée de son bâtiment. « Tu vois, on ne peut pas dormir ici à cause de la musique au maquis Assinie toute la nuit, jusqu’au matin. J’ai appelé la brigade de salubrité qui a pris le matériel ‘’d’Assinie’’ à quatre reprises, mais rien n’y fait. Ça continue », me lance-t-il, dépité, à peine descendu du bâtiment. Son voisin Hubert Kimou, présent lors de mon passage, m’informe qu’il a déjà eu la vitre de sa voiture neuve fissurée par des clients. Sans oublier sa femme qui est toujours hélée et pratiquement draguée chaque soir, quand elle rentre du travail, par des personnes éméchées dans cette ruelle. Un vrai calvaire pour les habitants à cause de cette cohabitation ‘’obligée’’, dans la zone.
Ismaël Terry, à bout, me suit au ‘’Carrefour Garage’’, où m’attendent deux compagnons de virée et mes photographes de circonstance, Yannick Guéhi et Zoho Keï.
Nous nous asseyons ‘’Chez Audrey’’, un maquis resto-cave, situé en face de ‘’Souley poulet’’. Celui-là même qui a construit un immeuble au ‘’Carrefour garage’’, avec l’argent de la vente de ses poulets grillés. Sans oublier son super ‘’Choukouya‘’, géré par son petit-frère Abraham, quelques mètres plus loin.
En face de nous, il y a également un autre hôtel de passe (étoile rouge), appelé ‘’Bon Sens’’, collé au maquis-bar ‘’le buzz’’. Pendant que nous prenons un pot, des couples (!?) entrent et ressortent quelque temps après, sans aucune gêne. Parfois, séparément. Car, il y a deux entrées et deux sorties dans ces hôtels, à l’image de l’hôtel ‘’1 Etoile‘’, ‘’Ici on est au carrefour garage’’ et autres.
Ceci pour les clients qui veulent entrer et ressortir incognito. Et qui, pour la plupart (gars et gos), viennent d’ailleurs, selon des témoignages.
La musique qui bat son plein au ‘’Buzz’’. On s’entend à peine parler. D’autres amis nous rejoignent. Notamment, Dylan Brou Dupain, Dimitri Boni Payet (managers d’artistes), Anderson Winn’art (chef d’entreprise d’imprimerie) et Touré Rachid Souleymane (S7Ven Group), des habitants de longue date du quartier. Ils m’apprennent que depuis les années 1990, il y a eu d’abord des garages automobiles à ce carrefour. C’est de là que vient le nom ‘’ Carrefour garage ‘’. Puis, de 1995 à 2002, ont été créés successivement des grands maquis-bars tels que ‘’Prestige ‘’ (1995-2004), Coco Joyce (1995-2010), Prodada (1995-2004) et League des pros (2000-2002).
Tous ces établissements n’existent plus. La ‘’League des Pros’’ était la propriété de l’ex-footballeur pro ivoirien Bonaventure Kalou, qui évoluait encore en Hollande. Des témoignages sur l’histoire du Carrefour garage corroborés par Koné Souleymane dit Kader et son petit-frère Koné Daouda, deux des pionniers de la coiffure à la Riviera 2-Anono, rencontrés le même soir.
Après le pot ‘’Chez Audrey’’, tout mon ‘’gbonyi’’ prend la direction de ‘’Chez la Togolaise’’, dans la ruelle derrière ‘’le Buzz’‘ et devant l’espace Contador et ‘’l’ambassadrice du porco Corine‘’, vendeuse de viande de porc.
Il est pratiquement 2h du matin. Il y a du beau monde chez la Togolaise. C’est pareil dans les maquis ‘’Chez Aude’’, “Chez Coach Masra”, chez Solange, ’’N.P.C’’ (Né Pour C…) Chez Gisèle, et au Prestige chez Lili.
Certains clients regardent des matches de foot rediffusés et d’autres écoutent la musique. Ceux qui ne veulent pas de musique en fond sonore se dirigent au ‘’Resto Chez Varold’’ au bout de la rue, au ‘’Carrefour Gorille’’, du nom d’un brocanteur dans le coin qui a une ‘’tête de gorille’’. Ou ils vont à la selecte cave ’’ Chez Max’’ située derrière le chawarma Rifat, et managée par le célèbre Habib le milliardaire.
Quant aux amateurs de musiques rétros, ils se régalent tout simplement à ‘’Android +’’ chez Alain Konan, dans la ruelle qui va tout droit au complexe hôtel ‘’Le Buzz’’.
C’est d’ailleurs après avoir pris notre dose de rétros ivoiriens et africains à ‘’Android +’’, que mon ‘’gbonyi’’ se sépare au ‘’Carrefour garage’’. Où je croise les artistes zouglou et coiffeurs Bill Wallace, Titro1er, Skim et le manager d’artistes Laurent Lago. Il est 4 heures du matin. J’ai juste le temps de les saluer, avant de rejoindre mon ‘’ garage familial‘’. Pour quelques heures de sommeil.
Par Eric Cossa
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