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    La Liberté d'Informer

    La Côte d’Ivoire bientôt un pays “pétrolier” ?

    ByLa Dépêche d'Abidjan

    Sep 11, 2023

    Le 01 septembre 2021, la Côte d’Ivoire annonçait une ”découverte majeure” de pétrole, opéré par le groupe pétrolier italien ENI, au large d’Assinie. C’est dans cette zone que fut découvert le premier gisement de pétrole en 1974, baptisé ‘’bélier’’. Pour fêter l’évènement, le président Houphouët avait savouré devant les caméras de la RTI, une coupe de champagne, lui qui ne prenait jamais d’alcool. Toujours dans cette zone, il faut rappeler ” l’ intéressante ” découverte du groupe français Total en 2011, enfin la Côte d’Ivoire a longtemps revendiqué l’important gisement ” TEN ’’, finalement attribué au Ghana en Septembre 2017, par le Tribunal International du Droit de la Mer (TIDM), basé à Hambourg en Allemagne. 

    C’est dire que ce n’est pas tant la découverte qui a surpris puisqu’il y a du pétrole dans la zone, mais le volume estimé des réserves en pétrole et en gaz. Comme pour attester de l’importance du gisement, le PDG du groupe ENI, l’Italien Claudio Descalzi était reçu par le président Ouattara le 02 Octobre 2021, juste un mois après la découverte. Baptisé ‘’baleine’’, les réserves du gisement ont été estimées dans un premier temps à 2 milliards de barils de pétrole brut, et 2 400 milliards de pieds cube de gaz naturel, estimations revues à la hausse en 2022, à 2,5 milliards de barils de pétrole et 3 300 milliards de pieds cubes de gaz.

    Ces réserves représentent environ le quart de celles de l’Angola, second producteur africain de brut derrière le Nigéria. Le gisement ‘’baleine’’ est l’une des plus importantes découvertes dans le golfe de Guinée, ces dernières années. Le pays produit certes du pétrole et du gaz, mais reste un petit acteur avec une production oscillant entre 36 000 et 40 000 barils par jour. Quant au gaz naturel, la production est aussi relativement faible, et sert exclusivement à l’alimentation des centrales électriques au gaz naturel qui ont vu le jour. La production provient pour l’essentiel des gisements ”espoir”, et ” foxtrot ” au large de Jacqueville.

    La réactivation du plan ”Rotterdam d’Afrique” ? 

    Si elle est un petit producteur, la Côte d’Ivoire est en revanche une place forte en matière de raffinage de pétrole en Afrique de l’Ouest, avec la seconde capacité de raffinage après le Nigéria. Elle alimente les pays de l’hinterland en produits pétroliers finis ( Mali, Burkina,…..), raffinant aussi une partie de la production du Nigéria il y a quelques années. Vers la fin des années 90, un plan avait été adopté pour faire du pays la ”Rotterdam d’Afrique”, en référence à la place qu’occupe la ville de Rotterdam en Hollande dans le raffinage en Europe.

    Le contexte politique des années 2000 n’a pas permis la mise en œuvre de ce plan. Mais la construction d’une seconde raffinerie, dans la zone située au-delà du canal de vridi est toujours prévue. La Côte d’Ivoire est également une place forte en matière de production et d’exportation d’électricité. Ce statut sera consolidé par le nouveau gisement dont le gaz servira exclusivement à l’approvisionnement des centrales électriques du pays. A moyen terme, une hausse des exportations, et à long terme une baisse du prix de l’électricité sont attendues.

    Le 27 Août dernier, à peine deux ans après l’annonce de sa découverte, le gisement ‘’baleine’’ est entré en production. Les autorités ivoiriennes ont exercé une pression constante sur le groupe ENI afin qu’ il accélère. Cette rapide entrée en production a été possible par l’utilisation d’une unité flottante de production  ( FPSO en anglais ), et non une plate-forme construite sur site comme on le fait habituellement. L’exploitation de ce gisement se fera en trois phases. La première qui vient de débuter verra une production de 15 000 barils par jour, puis en 2024 elle passera à 50 000 barils, et enfin à 100 000 barils par jour en 2026. Trois puits seront forés. Le gisement sera exploité conjointement par ENI et la PETROCI.

    Quelles retombées concrètes pour l’économie ivoirienne ?

    Signature du contrat de partage et d’achat du gaz naturel issu du gisement baleine, le 02 Août 2023

    Quand on sait qu’il faut environ 1 500 milliards de FCFA pour forer un seul puits, on peut se faire une idée des coûts que va nécessiter la mise en exploitation de ce gisement. On ne sait pas exactement combien la firme ENI a dépensé avant de faire la découverte, cela n’a pas été rendu public. Mais on sait en revanche qu’elle devra investir 11 milliards de dollars ( soit quelque 6 600 milliards de FCFA) pour que le gisement soit pleinement opérationnel en 2026. Ces chiffres nous permettent de comprendre pourquoi les pays africain ne sont pas en mesure d’exploiter eux-mêmes ces gisements, ni d’entreprendre l’exploration.

    Ce qui intéresse l’opinion, c’est bien sur la question des retombées financières pour le pays. Evidemment avant de parler de profit, il faut d’abord amortir les coûts. Ainsi, priorité est donnée à ENI, qui doit récupérer sa mise. Selon les déclarations du ministre chargé de pétrole et de l’énergie au moment de la découverte, Thomas Camara, la CI « recevra 10% de la production dans un premier temps. Ensuite lorsque les coûts financiers et les coûts de production seront couverts, la Côte d’Ivoire bénéficiera de 52% du profit total généré par l’exploitation d’une part, et d’autre part de 10% des 48% restants ».

    Pour reprendre les propos du Ministre, le groupe ENI recevra  90% de la production du gisement jusqu’à ce qu’il récupère l’argent qu’il a investi. Une fois cela fait, la Côte d’Ivoire recevra désormais 52% des profits qui seront générés. On remarquera que les profits peuvent être nuls selon les cours du pétrole. Pourquoi après les coûts amortis, le partage se fait sur les profits et non sur la production ? La question reste posée. La Côte d’Ivoire aurait dû recevoir elle aussi 52% de la production, et non des profits.

    La mise en exploitation totale du gisement va nécessiter un investissement de 11 milliards de dollars, à la charge d’ ENI. A cela s’ajoutent les investissements en amont, ceux engagés pour aboutir à la découverte. Le problème, c’est qu’ils sont les seuls à savoir ce qu’ils ont exactement dépensé dans la phase d’exploration. La facture qu’ils ont présentée aux autorités ivoiriennes n’a pas été officiellement communiquée. La CI avait-elle les moyens de la contester ?  Difficile de répondre par l’affirmative.  Il est clair que la CI n’entrera pas ”tout de suite” dans la pleine jouissance des 52% de profits que va générer l’exploitation. Combien de temps va durer cette ”période d’attente” ? Cela dépendra de plusieurs facteurs.

    Les Italiens vont-ils jouer la transparence ?

    Plate forme au large du Ghana. Malgré d’importantes réserves mises à jour, la production
    d’or noir n’a jamais vraiment décollé dans le pays.

    Avec d’importants gisements, on prédisait au Ghana une production de 350 000 barils par jour à partir de 2015. Pourtant la production est restée erratique et n’a jamais dépassé les 180 000 barils par jour. En cause un phénomène d’ensablement et d’enrochement des puits. Ceux-ci se remplissent constamment de sable ou de roche. Les puits au large de Jacqueville en CI étaient aussi sujets à ces phénomènes dans les années 2000. Les gisements du Ghana et ceux de la CI étant sur le même bassin sédimentaire, le gisement ‘’baleine’’ n’est pas à l’abri de l’ensablement.

    D’autre part, selon les spécialistes du secteur, en dessous de 60 dollars le baril, le pétrole extrait au large des côtes africaines (le golfe de Guinée), n’est plus rentable du fait des coûts d’extraction. Aujourd’hui L’OPEP défend un baril à 80 dollars, en jouant sur l’offre. Le prix du baril va naturellement jouer sur le temps que mettra ENI à amortir ses investissements.

    Enfin une dernière préoccupation doit être mise sur la table et elle est de taille. La Compagnie ENI va-t-elle jouer la transparence ? Souvent des Etats Africains traduisent devant les juridictions internationales des compagnies pétrolières occidentales. En Europe, les Italiens ont la réputation d’être des tricheurs. On sait que l’Italie a communiqué de faux chiffres afin d’intégrer la première vague des pays devant utiliser l’euro.  C’est dire que les Italiens sont un peuple qui n’est pas réputé pour le respect des règles. La ‘’combinazione’’ ( ”petits arrangements” en français ), ce mélange de ruse et d’esprit procédurier, est une spécificité italienne.

    Déjà il y a quelque chose qui a donné lieu à un mécontentement. Le gisement “baleine” a été découvert sur le bloc CI-101.  En Juillet 2022 un autre gisement était découvert sur le bloc voisin, CI-802, attribué lui aussi à ENI pour l’exploration. ENI devait alors signer un autre contrat de partage de production concernant ce bloc. Mais l’entreprise a prétendu que ce nouveau gisement est une extension du gisement baleine, ce qui amène à considérer ces deux blocs comme un seul. N’ayant pas les moyens de mener des investigations, le gouvernement a acquiescé. Cela montre que les autorités ivoiriennes devront rester vigilantes, prudentes, car la partie n’est pas tout à fait jouée.

    Le cacao bientôt supplanté par le pétrole ?

     

    Si nous nous projetons au-delà de 2026, date à partir de laquelle le gisement va atteindre sa production de croisière d’environ 100 000 barils par jour, sur la base de 80 dollars le baril (le prix actuellement défendu par l’OPEP), on peut tabler sur des recettes annuelles brutes de 2,92 milliards de dollars, soit environ 1 752 milliards de FCFA.  Bien sûr, il faudra déduire les coûts de production et d’exploitation, mais cela donne une idée des sommes en jeu avec ce gisement, qui de l’avis de tous, va permettre à l’économie ivoirienne d’entrer dans une nouvelle phase d’expansion.

    Le pétrole supplantera alors le cacao pour devenir le premier produit d’exportation de la CI.  Les pays africains producteurs de pétrole ont pris l’habitude de “croiser les bras” et attendre tranquillement que leurs parts de recettes leur soit reversée. Il est à espérer que la CI  évite ce piège, en continuant à toujours développer son secteur agricole. Le pétrole peut supplanter le cacao, mais il ne doit pas le “pousser vers la sortie”.

     Douglas Mountain 

    Le Cercle des Réflexions Libérales

    oceanpremier4@gmail.com

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