Le quatrième pont d’Abidjan : un feuilleton dont les dessous sont inconnus de l’opinion

Contrairement aux ponts Henri Konan Bédié (troisième pont) et Alassane Ouattara (cinquième pont ou pont de Cocody), la construction du pont Yopougon-Plateau (quatrième pont), qui dit-on portera le nom du président Gbagbo, n’est pas un fleuve tranquille. Le 10 Janvier 2024, l’ouvrage fut certes partiellement ouvert à la circulation (la section Yopougon-Boribana), mais cela ne doit pas être un motif de satisfaction pour nos autorités. Car la construction du pont (un ensemble d‘ouvrages s’étendant sur 7,5 km), a été lancée le 18 Juillet 2018, pour s’achever en Août 2000, après 27 mois de travaux, conformément aux engagements de la China State Construction and Engineering Corporation (CSCEC), l’entreprise contractante. 

L’ouverture de la section Yopougon-Boroibana le 10 Janvier dernier ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt.

La livraison de l’infrastructure devait se faire en une seule fois, comme pour le troisième pont, pas en deux ‘’phases’’.  Aujourd’hui on  parle de la fin des travaux en 2025 (sans en préciser le mois), ce qui représente un retard de plus de quatre années, peut-être même cinq sur le délai officiel, car tout porte à croire que l’infrastructure ne pourra pas être totalement achevée avant 2026 !!!  De gros morceaux du chantier restent à entamer, entre autres le tunnel au niveau de la Mairie d’Adjamé, le fly-over (pont) sur l’avenue Reboul, la voie expresse traversant le quartier ‘’Bramakoté’’.  Même au niveau de la commune de Yopougon, les travaux se poursuivent encore, alors que cette section est censée être ouverte à la circulation.

 A ce retard s’ajoute une interrogation sur le coût de l’ouvrage. Initialement de 142 milliards, le coût du quatrième pont est désormais passé à 154,2 milliards, soit 12 milliards de plus, sans qu’aucune explication officielle ne vienne en donner les raisons. Ce nouveau montant fut révélé lors de la visite de chantier du PM Beugré Mambé le 02 Novembre 2023. En fait, le retard et le surcoût de l’ouvrage sont deux questions liées quoi qu’en disent les autorités.

Le piège tendu par les Chinois de la CSCEC

A son lancement en Juillet 2018, le coût officiel du pont était de 142 milliards. Toutefois ce montant n’était pas le coût effectif du pont. C’était l’enveloppe disponible pour son financement, dont devaient tenir compte les entreprises qui participaient à l’appel d’offres. Ainsi celles qui proposaient de construire le pont à un coût supérieur, étaient éliminées. De même, celles qui proposaient de le construire à un coût trop bas, en deçà d’un certain seuil, étaient aussi éliminées, car cela signifie généralement un travail au rabais, l’entreprise ne pourra pas se conformer rigoureusement au cahier des charges.  Pour le quatrième pont, il fut établi qu’en deçà de 125 milliards, les offres seraient rejetées. Comme dans tout appel d’offres, ce “montant plancher” n’est pas communiqué aux entreprises.

Vue partielle du vaste échangeur de boribana.

Or les Chinois de la CSCEC ont proposé de construire le quatrième pont à 110 milliard !!!  Evidemment l’offre aurait dû être rejetée. Mais ce ne fut pas le cas. Il leur a seulement été demandé de confirmer qu’ils comptaient bien construire le pont à un coût global de 110 milliards. Après cette confirmation, le marché leur a été attribué.  Mais en 2000, alors que le chantier est largement entamé, ils veulent renégocier certains aspects du contrat, au motif que le cahier des charges les aurait induit à minimiser certains coûts. Ils réclament 20 milliards supplémentaires. Refus de la partie ivoirienne. Le chantier fut ainsi paralysé de 2021 à 2022, deux années durant, même si on pouvait toujours voir des ouvriers s’activer sur le site. En fait, les Chinois faisaient délibérément traîner les choses pour éviter que les travaux n’ avancent.

On peut se demander pourquoi la partie ivoirienne a refusé toute renégociation du coût du pont. Les Chinois ont  réclamé 20 milliards, en plus des 110 qui figuraient dans leur offre initiale, soit un total de 130 milliards sur une enveloppe disponible de 142 milliards. Il y avait de la marge. On pouvait leur accorder cette rallonge. En fait ce que l’opinion ignore, c’est que la différence entre l’enveloppe disponible pour le financement d’un projet et son coût effectif, ne retourne jamais dans les caisses de l’Etat.  Une fois qu’un marché est attribué, s’il y a de l’argent qui reste, cet argent se ‘’volatilise’’. Il en est ainsi dans tous les marchés d’Etat soumis à appel d’offres.

Les Chinois avaient préalablement demandé 110 milliards sur une enveloppe disponible de 142 milliards. Ainsi dès que le marché leur a été octroyé, les 32 milliards qui restaient  ‘’ont pris une autre destination’’. Pas question que cet argent retourne dans les caisses de l’Etat. Aussi lorsque la CSCEC est revenue à la charge pour réclamer 20 milliards supplémentaires, il n’y avait plus rien sur la ligne de crédit relative au quatrième pont.

Un compromis au détriment des caisses de l’Etat, une infrastructure faisant l’objet d’une “surfacturation”

Le PM Beugré Mambé (en vert) visitant le chantier du quatrième pont le 02 Novembre 2023,
moins d’un mois après sa nomination. C’est ce jour que le nouveau coût du pont à savoir 154
milliards, est officiellement annoncé.

Vers la fin de l’année 2022, il se murmurait que le président Ouattara était de plus en plus agacé du retard de l’infrastructure. L’opinion commençait aussi à se poser des questions sur ce pont qui tardait. Après avoir effectué de multiples visites sur le chantier, et lancé des ultimatums, que les Chinois ont ignorés, le ministère des infrastructures économiques (la tutelle du projet) se montra finalement ” flexible’’, et un accord fut trouvé.  Les Chinois acceptaient de recevoir 12 milliards sur les 20 qu’ils réclamaient. L’accord a permis au chantier d’accélérer à partir de Novembre 2022, et a fait passer le coût officiel du quatrième pont de 142 à 154 milliards. En réalité son coût effectif est de 122 milliards, c’est-à-dire les 110 milliards figurant dans l’offre initiale, et les 12 milliards supplémentaires qui ont été octroyés par la suite.

Les Chinois ont fait preuve de ruse, en proposant un prix bas pour remporter le marché, puis attendre que le chantier soit suffisamment avancé pour réclamer une renégociation de ce prix, sachant qu’il sera désormais impossible que le marché leur soit retiré. Le piège a fonctionné du fait de la cupidité ( ou la naïveté ) de nos ministres. Ils ont tout de suite flairé  les ‘’bonnes affaires’’ qu’on pouvait réaliser en optant pour la proposition chinoise, quand bien même le risque contenu dans leur offre était évident. Aujourd’hui le quatrième pont  fait l’objet d’une surfacturation. Une pratique décriée du temps du président Houphouët, qu’on croyait révolue, mais qui est toujours de mise dans la haute administration ivoirienne. C’est triste qu’on ne soit pas encore sorti de ces pratiques.

 

Douglas Mountain 

oceanpremier4@gmail.com   

Le Cercle des Réflexions Libérales

 

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