Les plateformes de Meta (WhatsApp, Messenger, Facebook, Instagram) et de ByteDance (TikTok) sont également bloquées sur le territoire guinéen depuis le 24 novembre, et inaccessibles sans le recours à un VPN. Les autorités n’ont, pour l’heure, pas communiqué sur ces sujets. RSF a tenté de joindre le porte-parole du gouvernement, également ministre des Télécommunications, Ousmane Gaoual Diallo, qui n’a pas donné suite à ces appels. Un journaliste guinéen qui souhaite conserver l’anonymat déplore “la sourde oreille et la bouche cousue du gouvernement face à cette situation qui affecte dangereusement la liberté d’expression”.
“Les brouillages des radios indépendantes et l’inaccessibilité des réseaux sociaux rappellent combien la liberté de la presse est fragile en Guinée. Les citoyens sont actuellement privés de leur droit d’accès à une information plurielle. Le brouillage des radios ressemble dangereusement à un sabotage pour les faire taire et envoie un signal extrêmement préoccupant. Les autorités doivent sortir de leur silence et tout mettre en œuvre pour y remédier au plus vite.”
Sadibou Marong
Directeur du bureau Afrique subsaharienne de RSF
Les radios volontairement brouillées
Contacté par RSF, Aboubacar Camara, président de l’Union des radios et télévisions libres de Guinée (URTELGUI), estime que la fréquence de ces radios, qui ne connaissent pas de problèmes techniques internes, a été brouillée délibérément : “Nous avons procédé à des vérifications : si l’on décale la fréquence, le signal passe, on peut capter la radio. C’est donc bien la fréquence de la radio elle-même qui est ciblée”. Selon lui, pour pouvoir brouiller une fréquence, il suffit de “disposer d’émetteurs de plus grande capacité que ceux possédés par la radio, de les aligner sur la fréquence souhaitée, et de mettre ce qu’on veut à la place”. Il estime que l’Autorité de régulation des postes et télécommunications (ARPT), l’organe de régulation des télécommunications, dispose d’un tel matériel, et qu’elle peut être à l’origine de ces brouillages. Le directeur de FIM FM, Talibé Barry, confirme : “Nous sommes convaincus que l’ARPT fait preuve d’un silence coupable”. Questionnée à ce sujet par la Haute autorité de la communication (HAC) le 27 novembre, l’ARPT a affirmé “ne pas avoir plus d’informations”, et qu’elle allait faire des investigations.
Les brouillages de FIM FM et de Djoma FM sont survenus quelques jours après avoir diffusé des émissions traitant du limogeage et de l’arrestation du ministre de la Santé et de l’Hygiène publique, Mamadou Phété Diallo, accusé, entre autres, de “corruption”. Les brouillages d’Espace FM et d’Evasion se sont quant à eux produits après des émissions abordant les coupures de leurs consœurs.
Coupures intempestives
Les radios privées connaissent régulièrement des brouillages intempestifs, particulièrement depuis mai dernier, mois au cours duquel le pays a connu une série de violations de la liberté de la presse sans précédent depuis l’arrivée au pouvoir de la junte. Il y a trois semaines, Espace FM a subi un brouillage en pleine émission, de même que la Radio Baobab basée à Kankan, bloquée pendant près de deux semaines.
FIM FM, qui émet à Conakry, la capitale du pays, et dans quelques villes environnantes, est la radio qui connaît le plus de coupures. Son directeur dénombre “cinq opérations de brouillage, au minimum” depuis mai. “Parfois, après avoir annoncé le nom d’un invité au cours de notre émission phare “Mirador”, le signal est brouillé dès qu’il prend la parole. Cela peut durer toute une journée”. Aboubacar Camara affirme que les blocages ont souvent lieu lorsque l’émission aborde des “dossiers brûlants” et qu’ils sont “systématiques, et peuvent durer une heure, un jour, voire deux…”. Le précédent brouillage de FIM FM datait du début du mois, dans le contexte de l’attaque armée d’un commando dans la prison centrale de Conakry pour libérer l’ancien président de l’ex-junte militaire au pouvoir en Guinée, Moussa Dadis Camara.
D’autre part, depuis environ un an, les autorités rejettent, sans explication, les demandes de FIM FM d’installer une dizaine de d’antennes relais – reprenant le signal diffusé depuis Conakry – pour qu’elle puisse émettre dans les régions.
En réaction, la direction générale de FIM FM a annoncé, le 27 novembre dernier, la suspension de ses programmes – qui étaient encore disponibles sur les plateformes numériques avec l’aide d’un VPN – jusqu’à ce que la fréquence fonctionne de nouveau.
Liberté de la presse en recul
RSF s’inquiète des attaques répétées à la liberté de la presse dans le pays. Depuis le mois de mai, où les réseaux sociaux et radios privées avaient été coupés, plusieurs entraves ont été comptabilisées : en octobre, dix journalistes ont été arrêtés et conduits au tribunal de Kaloum à Conakry alors qu’ils couvraient une manifestation pour la liberté de la presse et contre le blocage, depuis deux mois, du site d’information Guinée Matin. Plusieurs d’entre eux ont été brutalisés.
L’accès à Guinée Matin a été suspendu de mi-août au 5 novembre sans explication. L’accès à un second site d’information indépendant, l’Inquisiteur.net, a été coupé sur le territoire guinéen pendant un mois et demi à partir du 1er septembre.
La Guinée occupe le 85e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF en 2023.
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