Présidentielle française de 2027 : l’Afrique doit-elle craindre une victoire de l’extrême droite ?

Élection après élection, l’extrême droite française se rapproche du graal (au second tour de la présidentielle,  33,9 % en 2017, et 41,5 % en 2021). Dans les pays développés, l’opinion globalement penche à droite. Or la droite française s’est totalement effondrée depuis 2017, laissant toute la place à l’extrême droite. Le Rassemblement National (RN) de Marine Le Pen,  selon  les projections, a de fortes chances « d’investir la place » en 2027.

La France n’est pas un cas isolé en Occident. L’Autriche, la Suisse, la Belgique, le Danemark, les Pays-bas, l’extrême droite est en position de force dans tous ces pays. L’Italie est aujourd’hui dirigée par un parti d’extrême droite, et même les USA ont connu un président d’extrême droite en la personne de Donald Trump. Les partis d’extrême droite se caractérisent par un discours anti-immigration, les immigrés sont accusés de tous les maux dans le pays, notamment le chômage et l’insécurité. Sur le plan économique, ces partis sont plus ou moins pour une libéralisation totale de l’économie, un retrait de l’Etat des questions économiques. Ils sont globalement favorables à la peine de mort, et aussi inexpplicable que cela puisse être, ils sont très proches de l’Eglise (catholique et protestante en Europe, evangélique aux USA).

 

Marine Le Pen, présidente du Rassemblement National, le principal parti d’extrême droite en France. Les sondages prédisent une élection “serrée” en 2027. L’Afrique (francophone plus spécifiquement) doit se préparer au choc de son arrivée au pouvoir.

Dans les années 80, et 90, l’extrême droite française était dirigée par Jean Marie Le Pen (sur la photo), le père de l’actuelle présidente Marine Le Pen, un personnage outrancier et assez vulgaire. Le parti s’appelait alors le ” Front National ”. Son discours était d’appeler à l’expulsion de tous les étrangers de France, et de ”remettre la France aux Français”. En 2002 il a créé la surprise en se hissant au le second tour de la présidentielle française, devant le candidat du parti socialiste Lionel Jospin. En 2011 il remet la direction du parti à sa fille Marine Le Pen. Celle-ci va petit à petit se démarquer des propos outranciers de son père, commencer à faire des propositions économiques, changer le nom de parti en ” Rassemblement National ” .

Ce glissement opéré vers les questions d’économie, était une stratégie qui visait à ”dédiaboliser le RN ”  lui faire acquérir une certaine respectabilité, et montrer que le parti n’est pas focalisé sur l’immigration et peut gouverner la France. Mais l’apparition d’un nouveau parti d’extrême droite, Reconquête, de l’écrivain Eric Zemmour, un parti encore plus radical, a forcé le RN à retourner vers ses ”fondamentaux’’, son discours contre l’immigration, qui a toujours été au  cœur de son programme.

Ainsi sur le plan économique, il ne faudra pas s’attendre à des bouleversements si l’extrême droite arrive au pouvoir en France, les propositions de ce parti étant assez classiques, avec un net penchant pour la libéralisation comme tout parti de droite. La sortie de la France de l’Union Européenne, qui a longtemps été prônée, n’est plus à l’ordre du jour, vu le scénario de la sortie du Royaume Uni. Les barrières commerciales et tarifaires entre l’UE et ce pays se sont remises en place, les Anglais doivent s’acquitter d’environ 60 milliards d’euros comme solde de tout compte pour leur sortie. A ce jour, certains détails techniques ne sont toujours pas réglés, 03 ans après la sortie officielle (31 janvier 2020). L’économie britannique est désormais isolée en Europe. Aussi le Rassemblement National (RN) parle désormais d’une réforme de l’UE, et non de la sortie de la France.

En revanche, les enquêtes d’opinion montrent que les Français lui accordent plus de crédit sur les questions identitaires et sociales que sur les questions économiques. C’est sûr, si le parti RN accède au pouvoir, son approche sur la question de l’immigration sera radicalement différente de celle des gouvernements qui ont jusque-là dirigé la France. Et les Africains risquent d’être les premiers à en faire les frais. Pourtant quand on voit les chiffres, peut-on vraiment dire que la France est « envahie » par les étrangers ?

 

Selon les données de l’INSEE, l’organisme français chargé des statistiques démographiques et des études économiques, en 2022 la France comptait 67, 97 millions d’habitants (on parle de résidents), dont 7 millions d’immigrés soit 10,0 3% de la population. Sur cette population d’immigrés, 48 % viennent d’Afrique, soit 3,3 millions d’individus, dont 62 % d’origine maghrébine ( 2 046 000 personnes ), et 38 % de subsahariens (1 254 000 personnes).  Ainsi les immigrés subsahariens représentent environ 0,18 % de la population française.

Avec de tels chiffres, peut-on vraiment dire que la France est « submergée de sans-papiers en provenance d’Afrique subsaharienne » comme le chante l’extrême droite française ? Et pourtant leur présence (résultat du passé colonial), a fini par devenir un enjeu politique majeur dans le pays, accusés à tort ou à raison « d’accaparer le boulot des français », donc d’être responsables du chômage, d’être actifs dans les réseaux de drogue, de prostitution, d’exercer la fraude à la sécurité sociale, d’alimenter la délinquance…etc….Aujourd’hui l’accusation la plus emblématique est celle du ”grand remplacement’’,  en d’autres termes les immigrés subsahariens sont accusés de « vouloir changer la démographie du pays », (une thèse également reprise par le président Tunisien Kais Saied vis-à-vis des immigrés subsahariens de Tunisie.  L’homme est cependant revenu sur ses propos peu après).

Si ces dernières années, du fait des attentats islamistes, les maghrébins sont aussi très indexés, le subsaharien reste cependant dans l’imaginaire collectif français, le symbole de l’immigration illégale dans le pays, une perception malheureusement alimentée par le débarquement continu des clandestins issu d’Afrique subsaharienne sur les côtes italiennes et espagnoles. Le 26 Mars dernier, le RN a organisé ” les Etats généraux de l’immigration’’, occasion pour remettre sur la table sa batterie de mesures toutes prêtes pour juguler ‘’l’immigration illégale’’ s’il arrivait au pouvoir :

 – Le durcissement des conditions d’obtention du visa dans les ambassades françaises

 – La fin du regroupement familial, cette disposition qui permet aux citoyens africains titulaires de la nationalité française ou d’un titre de séjour

  au long cours, de faire venir leurs familles

– La fin du droit du sol pour les enfants des ”sans papiers et des étrangers’’, cette disposition qui permet à tout enfant né sur le sol français     d’être de facto citoyen français quand bien même ses parents seraient des ”sans-papiers’’ ou des étrangers en situation régulière.

– par voie de conséquence la suppression du statut de ‘’non-expulsable’’ pour ces derniers, cette disposition qui interdit l’expulsion d’un

  immigré en situation irrégulière mais parent d’un enfant né en France.

– un durcissement des conditions d’obtention de la nationalité suite à un mariage

– L’expulsion des étudiants qui ont terminé leurs cycles

– L’expulsion de tout étranger condamné à une peine quelconque, même au civil

– Le refus de la France d’accepter les clandestins qui débarquent en Italie, en Grèce, en Espagne

– La déchéance de nationalité pour les binationaux coupables de ”trahison ou d’insulte envers la France’’

– Des peines pénales pour tout employeur qui fera travailler des ”sans-papiers”

Ce qui reste préoccupant, c’est que les thèses du RN pèsent de plus en plus sur la politique des différents gouvernements qui se succèdent. Ainsi le parti du président Macron a fait adopter en Décembre 2023, une nouvelle loi sur l’immigration, qui reprend certaines thèses de l’extrême droite, entre autres la fin de l’octroi automatique de la nationalité à tout individu né en France de parents étrangers (le droit du sol), et le principe de la déchéance de la nationalité pour les binationaux coupables d’ « actes de trahison envers la France », une formule dangereuse car difficile à cerner.

Reste maintenant à se pencher sur la faisabilité de telles mesures. On ne peut pas du jour au lendemain expulser des milliers de sans-papiers. En 1986, on a assisté à l’expulsion de 101 maliens de France par vol charter. En 1995, ces vols ont repris. Mais c’était surtout des chiffres symboliques, destinés à envoyer un message à l’opinion. On a affaire à des dizaines de milliers de personnes. Les rapatrier par voie aérienne prendra un certain temps. L’extrême droite française ne pourra pas « faire rentrer chez eux » par la contrainte tous ces milliers d’africains, qu’ils soient ou non des ‘’sans papiers’’. C’est tout juste impossible.

En revanche les mesures vont conduire à un accroissement mécanique du nombre des sans-papiers sur le territoire français. Tout étudiant qui aura terminé ses études deviendra un sans-papier. Tout individu né en France de parents étrangers, sera un ‘’sans-papier potentiel’’. Le fait d’être parent d’un enfant né en France ne sera plus une garantie contre l’expulsion. On sait qu’un demandeur d’asile ne devient un sans-papier que si sa demande est refusée, avec tous les recours épuisés. Or le RN prévoit que toute demande d’asile sera désormais traitée dans l’ambassade française du pays du requérant. Donc on ne pourra plus débarquer en France et faire une demande d’asile. En fait les mesures du Rassemblement National vont rendre la situation des ”sans-papiers’’ plus précaire.

Cela sera -t-il suffisant pour tarir les flux d’immigrés vers ce pays ? On le voit en Italie, malgré la fermeté des autorités d’extrême droite qui refusent que les bateaux des migrants accostent, les arrivées sont toujours aussi massives. En Grande Bretagne, le brexit a diminué l’arrivée des citoyens d’Europe de l’Est, mais pas des autres ( asiatiques, africains, maghrébins, turques etc…). Les flux sont toujours croissants. Tant que la situation économique sera difficile en Afrique et ailleurs, les candidats à l’exil ne seront jamais découragés quels que soient les barrières qui seront mises en place, car aucune barrière ne peut tenir face à la misère. C’est aussi simple que cela.

Marine Le Pen avec feu le Président Idriss Déby lors d’une visite au Tchad en 2017. A-t-elle une stratégie claire de coopération envers l’Afrique ? Pour l’instant les choses restent assez vagues.

L ‘Afrique est généralement présentée comme l’angle mort de la politique internationale du RN. Les propositions concrètes vis-à -vis du continent sont encore floues. Lors de la crise nigérienne en 2023, suite à la séquestration de l’ambassadeur français dans ce pays, le RN avait exigé ni plus ni moins la rupture des ” liens diplomatiques et économiques”  et une ” intervention militaire si l’intégrité physique de l’ ambassadeur était menacée”. Le RN va-t-il revenir sur certains accords de coopération économiques  ou militaires, entre la France et les pays du continent ? C’est un peu le flou à ce sujet. Le CDD, ce programme de remise de dettes sera-t-il poursuivi ou simplement annulé ? Il faudra attendre pour être situé. Les partis d’extrême droite ont une tendance au repli sur soi, on l’a vu aux USA avec Trump, mais aussi en Europe. C’est quelque chose qui va forcément se ressentir dans les relations entre la France et l’Afrique, si le RN parvenait au pouvoir.

Douglas Mountain 

oceanpremier4@gmail.com   

Le Cercle des Réflexions Libérales

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