Le génocide Wê à Duékoué : 8 jours de massacres, 1800 exécutions, 4 fosses communes identifiées

Le burkinabé Amadé Ourémi
De toutes les tueries enregistrées en Côte d’Ivoire pendant la guerre postélectorale, celles de Duékoué (450 km d’Abidjan, Ouest du pays) sont les plus dramatiques. Car méthodiquement planifiées, consacrant du coup la thèse de l’épuration ethnique, du génocide. Comme ce fut le cas au Rwanda en 1994. Lorsque l’ex-rébellion armée pro-Ouattara prend pied à Duékoué en cette fin de journée du 28 mars 2011 avec l’appui de l’Onuci ayant mis sous l’éteignoir sa mission de protection des civils et de neutralité, les populations Wê perdent leur droit fondamental à la vie. Human Rights Watch, dans son rapport d’octobre 2011 sur la Côte d’Ivoire, n’en fait nullement mystère : « Le 29 septembre, six mois s’étaient écoulés depuis le massacre de Duékoué probablement le plus odieux, mais un événement parmi d’autres pour ce qui est des crimes graves commis par les forces républicaines (ex-rébellion armée pro-Ouattara, ndlr). Les femmes qui ont vu leurs époux et leurs fils aînés hors de chez eux et exécutés à bout portant n’ont pas obtenu Justice. Leur quartier et leur village restent détruits et les habitants qui ont échappé à la mort vivent pour la plupart ailleurs et le plus souvent dans les camps de réfugiés. Il est grand temps qu’Alassane Ouattara se montre à la hauteur de ses discours sur une Justice impartiale. Il est également grand temps que des pressions réelles soient exercées par les gouvernements français et américain, ainsi que par le Conseil de sécurité des Nations unies et la Cedeao, pour garantir une justice impartiale», assène Human Rights Watch.

Epuration ethnique, viols et exactions abominables

L’Ong internationale de défense des droits de l’Homme va plus loin. En demandant des sanctions contre le camp Ouattara.
« Lorsque les combats se sont arrêtés à la mi-mai 2011, les forces républicaines d’Alassane Ouattara avaient commis des atrocités qui tombaient également sous le coup des crimes les plus graves sanctionnés par le droit pénal international…».
L’épuration ethnique, les viols et toutes les autres exactions abominables dont se sont rendus coupables les hommes d’Alassane Dramane Ouattara à Duékoué pendant une semaine (du 29 mars au 5 avril 2011) ont bien une histoire. L’élément déclencheur du génocide wê reste le contentieux électoral né au terme du second tour de la présidentielle 2010 en Côte d’Ivoire. Contestant la victoire de Gbagbo proclamé par le Conseil constitutionnel, Ouattara, fort de ses soutiens extérieurs dont la France et les Etats-Unis, a engagé l’ex-rébellion armée dont il est présenté comme le parrain depuis 2002 dans une guerre meurtrière contre les Forces de défense et de sécurité (Fds) de Côte d’Ivoire.
C’est ainsi que Duékoué dont les populations autochtones Wê ont majoritairement voté pour Gbagbo a été attaqué aux premières heures du lundi 28 mars 2011. Le reportage du journal français, Le Nouvel Observateur daté du 12 mai 2011, est édifiant à ce propos. «Tout s’effondre avec les premiers tirs ce lundi 28 mars.   Tremblante, Clémentine suit les combats qui mettent Duékoué à feu et à sang. L’armée du nord a franchi la ligne de démarcation. Pour en finir au plus vite. Les rebelles du nord ont lancé tous leurs supplétifs dans la bataille, les dozos, leurs miliciens et même la bande de tueurs du chef de guerre, Amadé Ouéremi, du Burkina Faso. Ils descendent des montagnes, s’infiltrent par la brousse, dévalent de tous les côtés à la fois, balaient les forces de sécurité présidentielles et taillent les milices Guéré en pièces. Ils prennent Duékoué en quelques heures, puis s’arrêtent, font la fête et pillent. C’est l’erreur. Venus du Sud, une unité pro-gouvernementale doté d’un tank, contre-attaque et reprend le centre-ville. Dans l’après-midi, le gros des troupes du nord, viennent en renfort, désintègre le tank et met un terme à 24h d’une bataille confuse et sanglante. Au petit matin du mardi 29 mars, des dizaines de cadavres couvrent les trottoirs de Duékoué. Les vaillants miliciens Guéré ont déguerpi en laissant leurs populations sans défense, face à des combattants ivres de batailles».

La bande des tueurs du chef de guerre burkinabé, Amadé Ourémi

Les miliciens Guéré en question sont des groupes d’auto-défense qui se sont dressés contre la rébellion armée pro-Ouattara en 2002 à Duékoué. La base de ces jeunes autochtones hostiles aux rebelles est le quartier carrefour de Duékoué, leur village.
Et la défaite de ces groupes d’auto-défense favorisée par l’intervention militaire du contingent onusien marocain aux côtés des Frci va donner lieu, plus tard, à l’extermination des populations Wê par les forces pro-Ouattara.
Le Nouvel observateur s’en fait l’écho dans les moindres détails. «Carrefour est le premier quartier sur leur chemin. Ils encerclent les maisons. Les hommes sont triés, leur carte d’identité examinée. Un nom malinké : la vie sauve. Une carte d’identité ivoirienne, un nom Guéré (Wê) : une balle dans la tête. Dehors, les femmes sont à genoux. Ils nous forçaient à chanter leur gloire. «Guerriers, Guerriers», raconte Julie, une habitante. Ces assaillants se divisent en trois groupes. Les tueurs, les pilleurs et les gâteurs. Les gâteurs, ce sont ceux qui arrosent nos maisons d’essence avant de mettre le feu. Un curé et ses enfants de cœur sont surpris devant l’église : quel est ton parti ? Le parti de Jésus Christ. Jésus Christ ? Ils sont abattus. Au milieu des cris et des explosions, les assaillants insultent leurs victimes. Vous avez voté Gbagbo, traîtres ! Et les anciens métayers exultent : Vous nous avez pris pour des domestiques. Nous sommes revenus en maîtres. Nous prendrons vos femmes, vos terres, vos champs. Et vous mangerez de la boue ! Et ils tuent. En fin de matinée, Carrefour est en feu. Et les supplétifs commencent à envahir les villages alentour ». Insoutenable ce récit non ? Ce n’est pas tout. « A Bahé. B, à quelques kilomètres de Duékoué, Denis bêche son champ de manioc, il entend du bruit, se dirige vers sa femme, voit huit hommes en treillis, foulard rouge sur le font et sandales en plastique (Lèkè) aux pieds. Qui est là ?, trois coups de feu lui répondent. La première décharge de chevrotine le manque, la deuxième lui loge un plomb dans le cou, la troisième lui crible l’épaule. Il tombe, laissé pour mort. Au troisième jour des massacres, les tueurs ne trient plus leurs victimes. Ma femme Hélène, mes jumeaux de 4 ans et demi, mon fils de 2 ans. Ils ont tué 9 personnes de ma famille », raconte Denis paralysé, en sang. Denis entend l’appel au secours de sa nièce, sa fille adoptive âgée de 13 ans. « Papa, il me violent, au secours, ils sont en train de me violer ! » Denis aperçoit plusieurs hommes autour de l’enfant, les cris durent une éternité. Puis ils cessent. Et Denis découvrira le corps de sa nièce, abattue d’une décharge dans la poitrine. Toute la nuit, Denis entend les aboiements des chiens des dozos qui entrent dans la brousse, chassent les rescapés, les paysans dans leurs campements. Au petit matin, Denis se traîne vers la route et croise une colonne de l’Onuci. Après une longue inertie, les casques bleus commencent à patrouiller, enterrent les morts et cherchent les survivants ».

1800 personnes exécutées, 4 fosses communes repérées…

Le journal français, Le Nouvel Observateur, avance un chiffre d’au moins 2000 morts, très proche des conclusions de nos investigations à Duékoué indiquant 1800 personnes exécutées sommairement et 4 fosses communes dont la plus importante reste celle creusée à l’opposée de l’entrée de Carrefour par l’Onuci sur un site marécageux. A l’instar de Human Rigths Watch, le Cicr et Amnesty international ont condamné ces atrocités et exigé que les auteurs soient traduits devant les juridictions internationales. Même l’ONUCI a formellement identifié, en son temps, les Frci comme étant responsables avérés de l’extermination des populations Wê.

Didier Félix Téha Dessrait in Notre Voie

Thu, 29 Mar 2012 02:41:00 +0200

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