L’entreprise coloniale a procédé à une aliénation linguistique des peuples colonisés, notamment ceux d’Afrique, en utilisant la violence pour imposer la culture du colonisateur 

La problématique des langues en danger de disparition est actuellement un phénomène qui suscite plus d’attentions et d’études à de nombreux niveaux de recherche : linguistique, anthropologique, politique et environnemental. Cette problématique de disparition des langues doit aller au-delà des efforts des chercheurs en sciences sociales et humaines pour interpeler les locuteurs de ces langues, la société civile mais aussi en grande partie l’Etat. Dans la préservation des langues du danger de disparition, l’Etat et les locuteurs de ces langues ont un rôle pas du moindre à jouer. Pour l’Etat, il s’agit d’élaborer et de mettre en œuvre une politique linguistique. Pour les communautés linguistiques, il s’agit de privilégier l’usage de leurs langues en famille ainsi que dans les milieux populaires.

L’Afrique berceau de l’humanité reste naturellement aussi le berceau des langues. Ce continent, particulièrement dans sa partie subsaharienne est reconnu par son oralité. 

Les missionnaires et les premiers ethnographes l’ont donc toujours taxé de ne pas être suffisamment entrée dans l’histoire universelle car n’ayant pas une écriture. D’aucuns sont allés jusqu’à dire que les africains n’ont pas de langues, ils n’ont que des dialectes. Pour les tenants de cette approche linguistique, n’est langue que celle qui est écrite et enseignée. C’est dans cette logique, que l’entreprise coloniale a procédé à une aliénation linguistique des peuples colonisés notamment ceux de l’Afrique. Pour réussir cette mission, le colonisateur était passé par la violence pour imposer sa culture. Le canon à  l’épaule, la bible à la main, l’idée apparente était d’évangéliser les africains mais derrière était caché le projet d’aliénation culturelle. Sauf que ces peuples colonisés ont résisté jusqu’au dernier souffle pour jalousement préserver leur dignité et leur souveraineté. Plus tard, le colonisateur a changé de stratégie en construisant les écoles. Ainsi, l’école a contribué à l’atteinte de l’un des objectifs du colonisateur qui est l’expansion culturelle.

Ce contact Afrique-Europe, a lourdement pesé sur les langues et les cultures africaines. L’une des conséquences de cette rencontre c’est l’avènement de la dichotomie entre les notions de langue et de dialecte. Du coup, le colonisateur a considéré les langues africaines au rang des dialectes. Durant un peu plus d’un demi-siècle, les langues des colonisateurs ont su s’imposer et piétiner les langues africaines. Plus d’un demi-siècle après les indépendances en Afrique, les langues des colonisateurs gardent leur hégémonie sur les langues africaines.

De nos jours, la mondialisation continue à favoriser l’hégémonie des langues occidentales sur celles africaines. Et comme le souligne l’UNESCO, la mondialisation est passée par là avec l’expansion de l’anglais et du français. Par exemple, bon nombre d’États africains sont réputés d’être devenu les grands francophones du monde par le nombre des locuteurs du français ou par l’étendue où le français est couramment parlé.

Selon La Dépêche d’Abidjan, la République démocratique du Congo s’illustre bien dans cette logique. Ce pays de l’Afrique centrale compte sur son territoire de 2,3 millions de Km2 pas moins de 450 langues locales. Ces langues, ne sont ni écrites encore moins enseignées et mieux leurs locuteurs diminues par des effets socionaturels (vieillissement ; mort ; guerre ; épidémie ; volcan etc.). Dans ce pays comme dans bien d’autres africains, les langues maternelles s’éteignent doucement mais sûrement. Du coup, le pouvoir économique, technique, technologique et diplomatique des puissances occidentales constituent une menace et un danger réel pour les langues africaines. Par les biais des emprunts, des interférences linguistiques et de l’absence d’un alphabet authentique, plusieurs langues africaines sont menacées de disparition ou ont déjà disparu.

En Afrique francophone, selon Holtzer et Diallo (20001 :5), la Guinée constitue un cas assez particulier par le fait que les politiques linguistiques et éducatives ont donné lieu à d’importants bouleversements au cours de ce dernier quart de siècle. Le pays a accédé à son indépendance en 1958. Dès lors, les nouvelles autorités ont décidé d’adopter un régime socioéconomique et politique de type socialiste. Ce qui a occasionné une rupture entre la Guinée et les pays capitalistes d’Europe occidentale et de l’Amérique du Nord. Naturellement cette rupture est allée au-delà des aspects socioéconomiques et politiques, elle a donc touché les aspects linguistiques et culturels. Dans la politique intérieure, le français a été marginalisé dans l’enseignement, dans les médias et dans plusieurs autres domaines. Ce qui a valu à travers la révolution culturelle socialiste de 1968 l’introduction des langues maternelles dans l’enseignement dans le système éducatif guinéen (Barry : 45-64). D’abord comme langue d’alphabétisation, puis comme matière enseignée dans tous les cycles scolaires ou disons jusqu’en 8e année c’est-à-dire en deuxième année du secondaire. Elles y ont demeuré jusqu’en 1984, date à laquelle les nouvelles autorités ayant pris le pouvoir après Sékou Touré, ont décidé de les supprimer de tout le système éducatif. Cette rupture politique a ébranlé les fondements de tous projets de valorisation et préservation de la plupart des langues guinéennes du danger de mort.

La Guinée est un scandale géologique, touristique et château d’eau de l’Afrique de l’Ouest. A côté de tous ces superlatifs, la Guinée est aussi un scandale cultuel et linguistique où se côtoient les deux grandes familles de langues : les langues à classe et les langues à ton. Mais, ce patrimoine linguistique guinéen est l’un des plus exposés au danger de mort en ne laissant aucun élément de survivance. D’autant plus que dans les communications quotidiennes, les emprunts tirés de la langue coloniale (français) ont fini par envahir la plupart des langues guinéennes. Au même moment, certaines langues véhiculaires guinéennes ont quant à elles aussi fini par envahir d’autres langues minoritaires de la Guinée. D’ailleurs, aujourd’hui plusieurs langues guinéennes ont disparu sur la carte linguistique du pays. Au nombre de ces langues qui ont disparu ou qui sont menacées de disparition de la carte linguistique de la Guinée figure : le Baga (Forè et Binari) en Basse Guinée sont qualifiées des langues en danger de mort.

Par contre le Nalu qui était parlé en Basse Guinée est qualifiée de langue gravement menacée. De même, le Kakabhè est aujourd’hui pour bon nombre d’observateurs une langue moribonde. Cette contribution s’inscrit dans une démarche descriptive et se propose de comprendre le processus d’extinction des langues guinéennes et le rôle que l’alphabet ADLaM joue dans la préservation de ces langues du danger de mort.

Par Mamadou Sounoussy DIALLO
Assistant en Sociologie, Université de N’Zérékoré, Rép. de Guinée 
Enseignant et chercheur en Alphabet ADLaM
sounoussydiallo80@gmail.com

Extrait de : ALPHABET ADLAM, AU SECOURS DE LA SAUVEGARDE DES LANGUES GUINEENNES EN
DANGER DE MORT.

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