En Afrique, la francophonie perd son latin

La France envoie toujours en Afrique ce dont elle ne se sert plus: les véhicules déglingués, les bibles désuètes ou les sexagénaires qui veulent flatter leur libido une dernière fois. Le continent africain deviendrait-il aussi le réceptacle d’une langue française malmenée, dans l’Hexagone, par la communication high tech (oups! anglicisme…). La question s’est encore posée, ce 20 mars, à l’occasion de la Journée internationale de la Francophonie. Cette communauté unit, autour du français, 220 millions de locuteurs et rassemble 870 millions de personnes dans les 75 Etats et gouvernements de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF).

Les spécialistes de l’enseignement se lamentent régulièrement sur les résultats alarmants de l’école française. Dans des études portant sur une période de vingt ans, il apparaît qu’en matière de compréhension de la langue française, le niveau de l’élite baisse, le niveau moyen baisse davantage et le niveau des élèves les plus faibles baisse encore davantage. La langue dite «de Molière» aurait-elle perdu son dynamisme? Pas sûr; mais il ne faudrait plus guère compter sur les Gaulois. La vitalité se trouverait du côté des parlers tropicalisés, voire du côté des créoles, ces langues issues de transformations subies par un système linguistique utilisé de façon aussi imparfaite que succulente.

C’est notamment dans les zones francophones d’Afrique que la langue française évolue; ou peut-être faudrait-il dire “les” langues françaises. Certains Africains restent fidèles à la syntaxe la plus ampoulée et au vocabulaire le plus désuet. D’autres malaxent les idiomes jusqu’à les acclimater en un argot changeant, comme le nouchi de Côte d’Ivoire. D’autres encore cèdent à la tentation des abréviations nées des langages des textos. Résultat: il faut parfois des diplômes de linguistique appliquée pour comprendre les uns et les autres…

Dialogue de sourds

Imaginons un trilogue entre un Jean-Amédée, septuagénaire, pur produit d’une école coloniale qui fit de lui un francophone plus puriste que les puristes, un Kodjo, la trentaine, bana-bana (vendeur ambulant) bavard et débrouillard de la commune d’Abobo, en Côte d’Ivoire, et Léo-Bryan, pré-ado «trois-repas-par-jour», scolarisé dans une école «européenne» de sa capitale africaine. Qu’entendrait-on? Une douce fusion verbale ou un mix cacophonique de chant grégorien, zouglou et hip hop?

Imaginons…

(lecture déconseillée aux personnes sujettes aux céphalées)

Jean-Amédée (hautain): Modestes bambins, daignez condescendre à prêter attention au porteur de l’affriolant oracle francophone que je m’enorgueillis d’être. J’eusse cédé à mon quant-à-moi, si le piètre rhéteur qui vous narre ne se morfondait de démériter de la gracieuse offrande de la quintessence de la prodigieuse sève linguistique à nous offerte en ce vingtième jour du mois de mars de l’an de grâce 2012.

Kodjo: Wallaye ! Faut pas tu vas nous bêbinhan avec gros-gros français, hein! T’es un albêr qu’à fait Bengé jusqu’ààààà, mais t’es blaki comme nous dè…

Jean-Amédée (étonné): Fichtre! Quel baragouin! Je n’y saisis diable rien. Veuillez m’excuser de vous demander pardon…

Kodjo: Laisse ça, papa. T’es baïloké: j’ai pas le temps de tchatcher et de faire ton atalakou. J’ai un pétit apapra dans un glôglô. Faut je badou…

Jean-Amédée (choqué): Quelle outrecuidance! Ayez plus d’égards pour les mirifiques idiomes hérités de Villon et de Balzac!

Amusé par la situation, Léo-Bryan approche.

Léo-Bryan: lol ! 🙂 keske C?

Kodjo (agacé, à Léo-Bryan): Djô, C’est pas parce que ton padré a un bôrô de pierres qu’il faut acheter gnaga du môgô aujourd’hui-là!

Léo-Bryan (interloqué): HT kel koi?!

Kodjo (désigne Jean-Amédée): Y a vié père-là qui fait le blôdjaïh. Il chôkô on dirait il chie pas.

Langage SMS et smileys

Jean-Amédée: J’admets qu’il m’arrive, avec parcimonie, de déposer mon séant sur le trône des commodités, comme le commun des mortels, mais ce n’est guère un motif pour brutaliser la langue de Racine tel un vulg…

Kodjo (interrompt Jean-Amédée): Faut pas me traiter “gban-mougou” ici hein!

Jean-Amédée: Que nenni! Mon humble dessein n’est autre que de sensibiliser, aux vertus de la Francophonie, vos organes à papilles gustatives dévoyées.

Léo-Bryan (étonné, à Jean-Amédée): twa t 1treC par francophonie?

Jean-Amédée: «1treC»? Quesako?

Léo-Bryan (à Jean-Amédée): T kom mon prof 2 francé: T va mNRV grav! l’S tomB, ya oK1 subjonctif ds SMS!! Tu Dfen 1 lang 2 ouf!

Jean-Amédée (perdu): «2 ouf!»? Abdou Diouf ?

Kodjo: Le gaou se lôgô dêh! (à Léo-Bryan) Fô damer sur lui ! Pisse moi lé blé, on va s’enjayer.

Léo-Bryan (à Kodjo): j’tapLDkej’pe.

Kodjo (bouche bée): …?

Léo-Bryan (à Kodjo): tu vi1 2m1 ?

Kodjo (ne comprend rien): «2m1» ? Deux minutes ?

Léo-Bryan a déjà son casque d’iPod sur les oreilles. Il n’entend plus et s’éloigne. Avec effarement, Jean-Amédée et Kodjo le regardent partir.

Jean-Amédée (à Kodjo): Moi, je n’aurais guère d’objection majeure à un bock de houblon fermenté dans quelque débit de breuvage de ces bas-fonds adjacents.

Kodjo (interloqué): Tu tchapan quoi, mon gars!?

Jean-Amédée (à Kodjo): On s’en gaba de Léo-Bryan! Allons déchirer tchogo-tchogo dans un maquis!

Kodjo (souriant): Ça c’est toasté ! Tu es dévant!

Jean-Amédée (souriant): Une condition: on trinque à la santé de la Francophonie!

Kodjo (souriant): Ya pa dra! Francophonie, c’est nous on moyen ça!

Jean-Amédée sourit à Kodjo. Bras dessus, bras dessous, ils se dirigent vers la terrasse d’un bistrot…

Trilogue difficilement transcrit par Damien Glez

slateafrique.com

Fri, 23 Mar 2012 11:53:00 +0100

0

Laisser un commentaire

Nous utilisons des cookies afin de vous offrir la meilleure expérience possible sur notre site Web. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez notre utilisation des cookies.
Accepter
Refuser
Privacy Policy