“Le christianisme est une secte du judaïsme. Aux débuts, judaïsme et christianisme sont très intriqués.”

Interview
L’antisémitisme, une idée neuve. Pour Riccardo Calimani, on ne peut parler d’antisémitisme qu’à partir du XVIIIe siècle. Auparavant, l’histoire du peuple juif s’est développée à l’ombre d’un antijudaïsme religieux et théologique. Entretien.
RICCARDO CALIMANI
L’Errance juive, la Dispersion, l’exil, la survie, 362 pp. (tome 1) De l’ère des ghettos à l’émancipation, 474 pp. (tome 2) Traduit de l’italien par Maurice Darmon. Diderot éditeur, «Arts et Sciences», 165 F chaque volume.

Comment, en vingt siècles, on est passé de l’antijudaïsme chrétien à l’antisémitisme «aryen», comment, donc, un différend religieux s’est transformé en condamnation raciale, telle est l’histoire que raconte l’Errance juive de Riccardo Calimani. Que le Juif errant ait été humilié, persécuté, massacré au nom du christianisme ou de la pureté de la race, ne change pas fondamentalement les choses, mais il est essentiel pour l’avenir, en revanche, de rappeler que les souffrances infligées au peuple juif n’ont pas de raisons que l’histoire ne puisse expliquer. Ce refus de toute métaphysique sur un sujet qui pourtant en regorge est l’apport indéniable de Riccardo Calimani. Sans Etat et sans armée, sans guerres ni généraux, bref, sans les institutions et les événements qui d’ordinaire façonnent l’identité des nations et en ordonnent la mémoire, les communautés juives ont partagé l’histoire et la langue des pays d’accueil et ont su, en ouvrant leur culture à la plus grande pluralité d’apports, renforcer leur propre singularité. Torah, Talmud, Zohar; orthodoxie et kabbale; rationalisme philo- sophique et messianisme mystique: ce n’est pas la mentalité mais les mentalités juives qu’il s’agissait de reconstituer, si nombreuses et diverses ont été dans le temps les solutions pour s’adapter. Le style du récit compte pour beaucoup dans la réussite d’un ouvrage qui se veut «une aide» pour mieux comprendre les causes des horreurs, mais surtout pour en prévenir la répétition.

Historien du judaïsme et essayiste ­ dont l’un des ancêtres fut un rabbin influent dans la Venise du XVIIIe siècle ­, Riccardo Calimani est l’auteur de l’Histoire du ghetto de Venise (Stock, 1988) et l’actuel directeur pour la Vénétie de la Rai, la chaîne publique de la télévision italienne. Nous l’avons rencontré à Paris.

Vous ne partagez pas les conclusions de l’Histoire de l’antisémitisme de Léon Poliakof. Pourquoi?

Le livre de Poliakof est un livre excellent, une mine pour tout historien, un monument. Mais je ne crois pas que le concept d’antisémitisme puisse rendre raison, partout et à toutes les époques, du sort fait aux Juifs. Je soutiens que, pendant au moins dix-sept siècles, l’histoire du peuple juif s’est développée à l’ombre d’un antijudaïsme à connotation religieuse et théologique. Avec un sens purement linguistique, le mot «sémitisme» n’est apparu qu’à la fin du XVIIIe siècle, et celui d’«antisémitisme» encore plus tard. Ce dernier terme possède en effet une connotation raciale qu’il faut ramener au positivisme et au développement de la science au XIXe siècle. En tout cas, il ne faut pas faire de l’antisémitisme une constante de type métaphysique, mais ­ si on veut garder l’espoir de le voir disparaître ­ le considérer comme un résultat de l’histoire, notamment de celle des deux ou trois derniers siècles.

La séparation entre judaïsme et christianisme, telle que vous la reconstituez, est plus lente et moins linéaire qu’on ne le pense d’habitude.

En rappelant une formule bien connue en France, le christianisme est une secte du judaïsme. Aux débuts, judaïsme et christianisme sont très intriqués. Dans la séparation, c’est saint Paul qui joue un rôle décisif. Pour lui, les juifs peuvent continuer à observer la Loi ancienne, tandis qu’aux gentils suffit le commandement de l’amour. Universaliste, son discours est ainsi mondialiste. Singulier, le judaïsme ne se réfère qu’au peuple hébreu. Cependant, la distinction entre christianisme et judaïsme s’opère très lentement. En fait, elle ne se réalise qu’au moment ou le christianisme devient la religion officielle de l’Empire romain, avec Constantin. Religion du pouvoir, le christianisme impose la séparation avec d’autant plus de force qu’il se considère désormais verus Israel, l’Israël véritable. Saint Augustin a donné la justification théologique à cette position: le peuple juif doit survivre pour fournir le témoignage vivant de la naissance de Dieu, mais aussi l’exemple du malheur qui peut frapper ceux qui n’embrassent pas la vraie foi.

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