Vous travaillez actuellement, à l’effet de publication, sur un ouvrage où il sera question de ce que vous appelez « la face voilée » de l’histoire de la Reine Abla Pokou. De quoi s’agit-il ?
Je suis issu de la lignée de la Reine Abla Pokou (ou Ablan Opokwa) par ma grand-mère qui descend de la princesse Akwa Ama. Elle fut aussi mariée à un descendant de Houphouët Mongo qui a été le deuxième souverain à succéder à la reine. Ayant passé toute mon enfance auprès de mes grand-parents, ils ont eu le temps de m’apprendre mon histoire, l’histoire du peuple baoulé à travers celle de la Reine Abla Pokou. C’est donc par devoir de mémoire que je m’intéresse à cette histoire. Je me dois de la protéger. Mais, c’est également par devoir de vérité qu’il me faut aujourd’hui rompre ce lourd silence pour élucider l’histoire de l’impératrice du peuple baoulé.
Qu’est-ce que vous reprochez à la version connue de l’histoire de la Reine Abla Pokou ?
Dans les recherches qui ont trait à l’histoire ou à l’anthropologie, les preuves matérielles constituent quelque chose de fondamentale. Or, Abla Pokou a existé. Elle a laissé des objets qui sont aujourd’hui des preuves irréfutables, parce que vérifiables… Dans la version connue de cette histoire, on nous dit que la Reine Abla Pokou serait morte et enterrée dans le Walèbo (Sakassou). Ce qui est un mensonge et une volonté manifeste de tronquée la vérité historique, donc de falsifier l’histoire. La Reine Abla Pokou n’a jamais été dans le Walèbo (Sakassou) ni même enterrée dans cette région. N’tran’wlê y nouan par déformation N’DRANNOUAN signifie « La limite de ma demeure » et Nkawa par déformation AKAWA, signifie « je reste ici ». Ces phrases ont été prononcées par la Reine Pokou pour mettre fin à l’exode des Baoulé dans cette région. C’est donc à N’drannouan (Bouaké), avec Akawa comme chef-lieu du royaume Baoulé que la reine Abla Pokou a vécu les derniers instants de sa vie et y a été inhumée dans la forêt sacrée de Gnamônou dans le lit du cours d’eau appelée N’drahan-bah… Ce qui a été notre drame, c’est que, c’est seulement autour de 1956 que Akawa a eu ses premiers fils scolarisés. Nous n’avons pas eu très tôt d’intellectuels qui auraient pu faire éclater la vérité des faits historiques et des preuves matérielles. Moi, je ne suis pas un universitaire, mais je me suis intéressé à cette histoire par devoir. Ce sont mes parents qui m’ont légué cette situation, cette charge, cette responsabilité qu’il me faut assumer de toute façon.
Monsieur Brou, qu’est-ce qui vous amène à cette hypothèse ?
Vous savez, Abla Pokou, ce n’est pas une légende, c’est l’histoire du peuple baoulé, c’est un patrimoine historique de la Côte d’Ivoire. Il y a des traces. De même qu’on a pu connaître, à travers l’existence des pyramides d’Égypte, la vie de tel ou tel Pharaon, c’est de la même façon qu’avec le trône étatique, les sabres royaux de la Reine Pokou jalousement gardés par la famille royale d’Akawa et les textes sacrés du grand tambour lui-même sacré, on peut donner la preuve de ce que je dis et défendre la thèse que je défends.
Qui a été alors dans le Walèbo (Sakassou) ?
Pendant l’exode du peuple Baoulé conduit par la reine Pokou, il y avait à ses côtés, ses sœurs. Akwa Ama, nièce légitime et héritière du trône de la reine Pokou résida auprès d’elle à Akawa. L’une, Nan Kindé est restée dans la région de Bongouanou où elle a fondé trois villages : Agoua, Afféy 2 et Yêbouêsso. L’autre Tanoh Adjo s’est installée à Tiassalé pour fonder le peuple Elomoin. La reine Pokou, quant à elle, continua jusque dans la région de Bouaké, dans le N’dranouan où elle fonda le village d’Akawa. Vu que tout le peuple ne pouvait vivre dans le même endroit, la reine demanda à sa nièce cadette Akwa Boni d’aller s’installer un peu plus loin. C’est ce que Akwa Boni fit. Accompagnée d’un détachement de l’armée de la reine, elle fonda un village au pied d’un arbre appelé walè. C’est ce qui a donné le peuple Walèbo.
Mais, vous n’êtes ni historien, ni anthropologue, comment avez-vous pu entreprendre de telles recherches qui sont du domaine de spécialistes ?
C’est vrai que je ne suis pas historien. Ni même chercheur en rien du tout. Mais je suis d’Akawa, descendant du trône de la Reine Abla Pokou… Je sais l’intérêt que porte les Ivoiriens au culte de leurs ancêtres, à l’histoire de l’exode de la reine Pokou qui relève aujourd’hui du patrimoine culturel national. Enfant, je vivais avec mes grand-parents qui m’ont conté l’histoire de l’exode du peuple baoulé avec à leur tête la Reine Pokou. Et puis, à Akawa j’ai pu par moi-même voir des objets royaux ayants appartenus à la reine. C’est donc un devoir pour moi de protéger la vérité telle qu’elle est, sans fioritures. C’est aussi, en tant qu’Ivoirien, un devoir historique pour moi afin que les générations à venir boivent à la source limpide de la vérité libératrice et non plus du mensonge.
Avez-vous invité des historiens et autres scientifiques à venir constater sur place à Akawa ces objets royaux ?
En 1963 feu le professeur Niangoran Bouah a fait un tour à N’drannouan auprès de Yao Kouamé alors chef de canton. Bien avant lui il y eu Delafosse et Salvert Monier dans le cadre d’une étude régionale de Bouaké. Plus récemment, feu Jean-Marie Adjaffi a effectué un voyage à Akawa où il a pu constater l’existence des preuves dont nous parlons. Feu le professeur Niangoran Bouah et le professeur Jean-Noël Loucou, accompagnés du professeur Biny Kouakou et du recteur N’guessan Kouakou François ont eux aussi fait le déplacement d’Akawa. Après avoir vu ces preuves, il était question que ces professeurs fassent quelque chose afin d’éclairer l’opinion public tant national qu’international de la vraie histoire de la reine Pokou. Malheureusement, peu de temps après leur visite à Akawa, le professeur Jean-Noël Loucou m’a laissé entendre que le rétablissement de la vérité sur l’histoire de la reine Pokou peut être source de conflit qui risquerait d’embraser le peuple Akan. A partir de là, j’ai compris que quelque chose clochait. Car comment comprendre que rétablir un fait dans la vérité peut-il provoquer des conflits ? L’histoire n’est pas une porte close. On peut toujours y apporter sa contribution. Et c’est ce que nous faisons. Les preuves sont-là. On peut les contester intellectuellement si on n’y accorde pas foi, mais on ne peut pas dire honnêtement et donc enseigner à nos enfants que dire la vérité va embraser un peuple. Nous, nous allons toujours dire haut et fort, avec la caution du canton N’drannouan, que la reine Pokou n’a jamais été dans le Walèbo. Quitte à ce qu’on nous prouve le contraire.
Craignez-vous que des mains souterraines entravent la marche de la vérité ?
Ce qui est aussi la vérité, c’est qu’une braise de feu ne peut pas rester longtemps cachée dans un tissu. Elle finira par sortir un jour ou l’autre. A l’époque, nos parents n’avaient pas trouvé nécessaire de dire la vérité sur l’existence des attributs royaux de la reine Pokou de peur d’être victimes de vols et de voir le site du sépulcre de la reine devenu aujourd’hui sacré être profané. Parce que, le N’drannouan avait déjà été victime de vol et de pillage. N’eut été leur vigilance et leur promptitude, nos parents auraient tout perdu de l’héritage à eux légués par la reine. Cet événement a donc obligé nos parents à considérer l’histoire de la reine comme un tabou. Mais, aujourd’hui, les données ont considérablement changé. La génération actuelle est celle qui a le plus soif de vérité et de connaissance. On ne peut pas les lui refuser.
Qu’est-ce que les Ivoiriens doivent-ils retenir aujourd’hui ?
Il faut que les Ivoiriens sachent que l’histoire de la reine Pokou n’est pas une légende. C’est une personne qui a vécu et les traces de son existence sont là pour l’attester. Il faut qu’ils retiennent également que l’histoire de la reine Abla Pokou a été tronquée à des fins politiques et au profit d’une poignée d’individus…
Par ailleurs, le Président de la République qui est historien-chercheur connaît certainement la version que nous défendons. Nous allons lui faire parvenir notre travail afin qu’il s’aperçoive au regard des preuves que nous détenons, de la manipulation qu’il y a eu autour de l’histoire la reine Pokou qui, faut-il le dire, fait partie aujourd’hui du patrimoine culturel et historique de la Côte d’Ivoire.
Par Serge Grah
Au nom de la vérité
Faut-il enfin briser la glace qui, jusque-là recouvrait l’histoire de la reine Pokou d’un pudique et protecteur manteau de Noé ? Et cela, au nom de la vérité devant l’histoire. Pendant deux siècles environs un pan de l’histoire de la reine Pokou a été volontairement ou involontairement coupé. Pourquoi ? En tout cas, beaucoup d’Ivoiriens aujourd’hui se posent la question et, se la posant, montrent indirectement du doigt ces intellectuels qui suscitent et développent dans l’esprit de la population, des allergies face à la vérité.
Il y a comme une espèce de complicité nationale sur les limites de ce qu’il faut dire et de ce qu’il ne faut pas dire sur l’histoire de la reine Pokou. Des scientifiques et non des moindres ont déjà donné leur version de l’histoire de la reine Pokou. Mais avec les « pièces » que Brou Jean-Paul verse au dossier, force ne serait-il à ces historiens et anthropologues de (re)poser, sur cette histoire de notre héritage culturel national, un nouveau regard ? Sans clichés politiques. Sans catalogue.
Des faits historiques dont l’authenticité a été mise en doute, ont fait l’objet de polémiques pendant longtemps. Notamment « Les manuscrits de la mer morte », « Le suaire du Christ ». Mais, la vérité a fini par éclater un jour. Sans qu’il n’y ait aucun cataclysme.
Quel est donc alors ce pacte secret sur l’histoire d’Abla Pokou ? Il est temps. Il est même grand temps que les intellectuels Ivoiriens rompent ce long et lourd silence suspect pour dire à la face du monde où la reine Abla Pokou a vécu jusqu’à sa mort. Où a-t-elle été inhumée ? Où se trouve son sépulcre ? Ceci dans un seul objectif : l’éclatement de la vérité. Et la restitution des faits de l’histoire. De notre histoire. Rien d’autre.
Serge Grah
Source : sergegrah.centerblog.net
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