Il y a quelques semaines, j’avais demandé un visa pour aller en France afin de participer au Conseil d’administration de la Fondation Orange dont je suis un des administrateurs. 

J’avais produit la lettre d’invitation de la société Orange, l’ordre de mission, la prise en charge du séjour, mon attestation de travail de Pca de la société d’État Idt, mon relevé bancaire. Bref, tout ce qui prouvait que je n’allais pas chercher à rester en France pour manger indûment le pain des Français en dormant sous un pont à Paris. Comme le visa n’arrivait pas et que la date du conseil approchait, je me suis débrouillé pour aller en France. 

Comment ? C’est mon secret. Mais rassurez-vous, je n’y suis pas allé en pirogue. Je m’apprêtais donc à rentrer au pays lorsque mon assistant m’a informé que normalement, je ne devais pas être en France, puisque le visa m’avait été refusé. J’avoue que je suis tombé des nues. Tout comme de nombreux amis à qui j’ai montré la jolie lettre de refus du consulat de France à Abidjan. Mon ami Seidick Abba a écrit que la France perd un ami en me refusant le visa. Ne nous donnons pas plus d’importance que nous n’en n’avons. Je crois que de mon amitié, la France, comme on dit dans sa langue, s’en branle complètement. 

C’est moi qui croyais que j’avais une dette envers ce pays pour m’avoir permis de faire des études de troisième cycle de droit dans l’une de ses universités et pour m’avoir accueilli en 2011, lorsque ma vie était menacée dans mon propre pays. 

A Paris, je fus logé gratuitement pendant trois mois à la Maison des journalistes de la rue Cauchy. Je recevais chaque mois des coupons repas et une carte pour circuler dans le métro et les bus. Être logé, nourri et transporté gratuitement, que pouvait-on rêver de plus à Paris ? Je serai éternellement reconnaissant à la France pour tout cela. Mais maintenant, comme le dit un sage de mon village, lorsqu’on ne veut plus de toi quelque part, n’y va plus, pour ta propre dignité. Il va donc me falloir apprendre à vivre sans la France. Je crois que j’y survivrai. Je connais de nombreuses personnes qui n’ont jamais été en France, qui ne rêvent même pas d’y aller et qui n’ont développé aucune pathologie particulière. 

Ne plus boire de vin français ? Ce sera dur. Mais il y a de bons vins italiens et sud-africains qui pourront le remplacer. Le fromage ? A vrai dire, je n’en suis pas un grand consommateur. C’est surtout pour mon ami Gérard de Daoukro que j’en achète lorsque j’y vais. Il va apprendre à aimer le fromage hollandais. Ce qui me manquera vraiment en France, ce sont tous ces amis, toutes ces personnes que j’aime profondément et qui m’ont fait aimer la France. Je pense particulièrement à la famille Huet d’Albi qui m’avait offert mon premier séjour en France en 1979, cette famille devenue aujourd’hui mienne. Philippe, le fils, lui, vient souvent ici, mais les parents sont devenus trop âgés pour venir en Côte d’Ivoire. Ne plus pouvoir les voir sera vraiment pénible pour moi. Et mon cousin Michel de Saint-Cannat ! Ne plus aller chez lui ? Dur, dur ! 

Pour ce qui est de guérir de ma francophilie, on me dit qu’il y a d’excellents professeurs qui donnent des cours de francophobie sur internet. Ils s’ap- pellent Franklin Nyamsi, Kémi Séba, Nathalie Yamb. On me dit aussi que le Mali et le Burkina Faso organisent des stages de haine contre la France et qu’avec un séjour de quinze jours là-bas, après les cours des éminents professeurs cités plus haut, je serais capable de détester tout ce qui est français ou qui lui ressemble. 

Mais je ne cherche pas à aller jusqu’à la haine. Je cherche juste à vivre sans aller en France. Je devais y retourner en octobre pour me faire opérer des yeux, mais je dois chercher une autre destination. J’avais fugacement pensé à la Tunisie dont j’avais vanté le système sanitaire et où j’ai de nombreux amis, mais comme ils sont de- venus complètement barjots là-bas envers nous les négros, je préfère aller ailleurs. Ils seraient capables de croire que je suis venu bouffer leur couscous et je pourrais me retrouver largué en plein désert. 

Je crois que je vais aller au Maroc où j’ai aussi de nombreux amis. C’est, pour le moment, le seul pays du Ma- ghreb qui entretient une vraie amitié avec nous les subsahariens. Et son système de santé a une bonne répu- tation. Il y a quelques années, notre cher Laurent Gbagbo y avait été pour soigner ses dents. Je peux donc moi aussi y aller pour soigner mes yeux. En plus, le pays est très beau. De Tanger à Dakhla, en passant par Marrakech ou Essaouira, il y a des endroits sublimes au Maroc. Au revoir donc France, bonjour le Maroc. C’est sur ce pays que mes yeux réparés se jetteront en premier.

Venance Konan

0

Laisser un commentaire

Nous utilisons des cookies afin de vous offrir la meilleure expérience possible sur notre site Web. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez notre utilisation des cookies.
Accepter
Refuser
Privacy Policy