INTOLÉRANCE RELIGIEUSE ET IDENTITÉ CULTURELLE

Résumé 

Dans ce texte qui date du 16 mail 2009, Les auteurs, Yao N’Guetta et Traoré Adama, alertaient l’opinion sur la destruction des cultures africaines par les idiologies étrangères qui se déploient tranquillement à l’ombre du prosélytisme religieux. La diversité culturelle et religieuse est une richesse pour l’humanité qu’il convient de préserver.

INTOLERANCE RELIGIEUSE ET IDENTITE CULTURELLE

« …C’est que le pire crime du colonialisme ne fut peut-être pas la falsification délibérée de notre histoire, falsification que Diop s’acharna à corriger , mais bien , ainsi que le suggère John Henrik, « la colonisation de l’image de Dieu »…Ce qui est suggéré ici , cependant , c’est que cette image a été plus pernicieuse, et continue d’être plus destructrice, que le mythe de notre anhistoricité et autres affabulations eurocentiques et racistes car ce qui est atteint ce n’est pas seulement notre intellect, mais bien notre âme » Ama mazama, Religion et Renaissance Africaine, Mambo Presses, 2010.

Les agressions contre les religions africaines et la culture africaine sont de plus en plus nombreuses et se font au grand jour, en toute tranquillité et en toute bonne conscience.

Dans leur prosélytisme tous azimuts, certains prêtres, pasteurs et imans ne ratent pas une occasion pour stigmatiser les croyances de ceux qui ne seraient d’aucune foi, dans cette société trop malade de son extraversion, sur laquelle  ils semblent avoir établi pour de bon, leur monopole de Dieu ! Ce Dieu dit « unique et universel », qui apparaît pourtant, rattaché à une origine ethnique et culturelle particulière.

Dans le journal  Le Jour Plus du 8 mai 2009, un chef religieux a laissé entendre que les adeptes des religions africaines, contre lesquels il mènerait sa « légitime » djihad ou croisade, ne connaissaient pas Dieu.

Ce chef religieux n’est absolument pas le seul. Il ne se passe pas un jour où les journaux, confessionnels ou pas, ne racontent pas les exploits de ces « croisés » des temps modernes, qui renvoient plutôt aux intolérances religieuses du Moyen Age européen, ou des colonisations arabe et européenne dans le monde, dans leur processus de « décivilisation » des peuples conquis.

Sur les lieux de culte ou sur la place publique, on stigmatise à tout va les pratiques, et on invective les adeptes de toutes croyances jugées hors des  moules des religions aujourd’hui « dominantes », et leurs pensées uniques, dans lesquels  nos concitoyens doivent finir par enfermer leur esprit contre eux-mêmes.

Est-il besoin de rappeler que les premiers hommes et femmes qui ont « découvert » Dieu sont bien nos ancêtres ; les négro-africains. Ce sont les Kemit de la grande civilisation noire de l’Egypte ancienne, qui ont naturellement écrit les premiers textes sacrés de l’histoire, vers 2600 ans avant la naissance de Jésus Christ : longtemps, très longtemps avant l’apparition des religions judéo-chrétiennes et musulmanes. Nombre de concepts de ces religions dites révélées, ont leurs origines dans les cosmogonies africaines.

Péjorativement désignés par les discours colonialistes comme fondamentalement « animistes et polythéistes », les Africains seraient des « mécréants « perdus dans les ténèbres et sans aucune espérance! ». S’ils ne sont pas des incarnations ou des suppôts du diable,  ils sont déclarés indignes de l’humanité. Comme au bon vieux temps de la colonisation pure et dure, prétendant apporter, par la croix ou par le croissant, épée, cimeterre ou fusil au poing, l’âme précieuse, qui manquerait aux autres peuples conquis et colonisés d’ici et d’ailleurs pour être des hommes, ou accéder à la civilisation.

Les païens sont comme des animaux, proclamait sans ambages, il n’y a pas longtemps encore, un pasteur, au cours d’un mariage dans un quartier d’Abidjan, qui accueillait, outre la masse  captive de ses ouailles aux anges, bien d’autres personnes ayant tout simplement le droit de ne pas croire en ses mensonges enflammés. Insultées en plein midi d’un jour d’allégresse partagée et de communion fraternelle, ces personnes  on dû avaler une couleuvre de plus ! Sans doute par éducation et par souci de ne pas perturber le déroulement de la cérémonie. Dans tous les cas, la sagesse recommande bien, en la circonstance,  que l’on ne réponde pas au coup de pied de l’âne… !

Et pourtant, vous n’entendrez pas un seul adorateur ou danseur de « fétiche », invoquer Dieu, le Ciel et la Terre, les génies et l’esprit de ses ancêtres, en insultant les autres qui ne partageraient point ses convictions. L’invective n’a jamais été un argument !

Dans leur manichéisme atavique, les adeptes des religions dites révélées et universelles manquent-ils d’argument pour faire valoir leur théologie, là où, les autres se valent par eux-mêmes, sans renvoyer, par défaut, à aucun faire valoir ou repoussoir. Ne démontrent-ils pas par là les limites de leurs discours ?

De la surenchère verbale à la violence physique, il n’y a qu’un pas, qui est allègrement franchi, en cette République de Côte D’Ivoire, que notre Constitution déclare pourtant laïque, et dans laquelle le Procureur oublie souvent de lever le petit doigt pour protéger les principes républicains de la démocratie et de l’Etat de droit, sur lesquels la nation cherche avec toutes les difficultés du monde, à s’asseoir !

Emportés par le fanatisme et par cette illusion ou ce sentiment d’en avoir la  raison et le droit, qui subjugue les esprits illuminés, les prosélytes de tout acabit se lancent dans leur djihad ou leurs croisades, contre toutes fois et pratiques socio culturelles, dont ils ne peuvent souffrir la différence.

L’alibi de la sorcellerie criminelle ou du fétichisme maléfique, est bien souvent servi, aux fins de justifier tous ces débordements relevant plutôt de stratégies d’occupation de terrain, repérables dans cette espèce d’élan hégémonique qui anime et pousse les religions dites universelles, bien assises dans notre société.

Loin de nous toute volonté de défendre les pratiques délinquantes comme la sorcellerie dont on connaît et reconnaît les ravages parmi les populations, en ville comme à la campagne. Dans notre société, empoisonnements, assassinats mystiques et envoûtements n’épargnent personne ni aucune classe sociale, créant une sorte de psychose exploitée à souhait, par plus d’un charlatan, qui y trouve le fonds de commerce le plus juteux.

Nous reconnaissons donc les méfaits liés aux pratiques négatives ; ils constituent des pesanteurs qui nuisent à l’image de nos cultures, contribuent à leur rejet par des populations aux abois ou ayant perdu de leurs repères, et proies faciles des prosélytes et autres détracteurs conscients ou inconscients bien servis par les exactions de quelques délinquants.

Cependant, avons-nous la même réaction négative vis-à-vis des cultures et religions qui nous dominent, alors que leurs travers sont aussi nombreux ?

Le bien et le mal cohabitent en l’homme, indépendamment de ses croyances, et la criminalité mystique existe partout, comme autant d’autres perversions.

Qui a oublié les déboires de Rashman Rushdy à propos des versets sataniques ? Que dit-on de la sharia ? Que dira-t-on de l’envoûtement de fidèles de cultes où les nombreuses quêtes ressemblant fort bien à des extorsions de fonds alors que comme on le sait la spiritualité ne fait pas bon ménage avec l’argent.

Dans le quotidien, abus de confiance qui ne dit pas son nom, la quête est devenue un véritable racket, sur des personnes à l’esprit souvent embué par leur foi démesurée, et à la merci de personnages véreux, dont les comportements devraient dégoûter plus d’un citoyen sinon interpeller tous ceux qui prétendent tant se préoccuper du  salut de leur semblable, ou mènent des djihad ou croisades, pour « assainir » mystiquement ou moralement la société.

Dans le cas d’espèce, on préfère, au contraire, fermer les yeux sur ces travers, ou plutôt les assimiler, les tenant pour preuve de notre modernité, ou pour  de nouveaux critères de performance, dans la recherche des voies de la richesse, du pouvoir et de la puissance. Que dira t –on de la condition réservée aux femmes dans des grandes religions où ces dernières sont interdites des fonctions de prêtes et d’imans.

D’autre part, autant il faut probablement des décisions courageuses de la part des pouvoirs publics, pour prendre en compte ces phénomènes délinquants  dans la gestion globale de la question de la sécurité des citoyens, autant nous devons condamner le laxisme ou l’apathie complice dont ils manifestent vis-à-vis des débordements du prosélytisme débridé des croisés de notre temps, aussi dangereux.

Les faits sont comme des symptômes de l’histoire. Et, malheureusement, nous en sommes à une phase de notre histoire où, ayant brisé les principales résistances et mis en place tous les instruments idéologiques, institutionnels et techniques de son système de domination, le colonisateur, européen  ou arabe,  peut bien se croiser les bras, pour voir comment, sous ses yeux, le processus qu’il a amorcé des siècles avant, se déroule, pour être parachevé avec les colonisés eux-mêmes devenus les acteurs plus engagés et efficaces de leur propre colonisation, désormais à sa vitesse de croisière.

Aujourd’hui ce n’est plus le blanc qui tient la torche, ce sont des Africains qui prenant la relève et mettent le feu aux objets sacrés de leurs pères et mères.

Les numéros du « Jour Plus » du 5 et 8 mai 2009 ne rapportent-t-il pas qu’un chef religieux fait brûler des « fétiches » sur les places publiques dans des quartiers d’Abidjan ?

Ces scènes  réveillent en nous, le souvenir des sombres époques des expansionnismes religieux de l’Islam et du Christianisme en Afrique ou en Amérique. La religion a toujours été et reste encore, un des moteurs des conquêtes coloniales.

Extrait de la Bulle du Pape Nicolas V, 8 janvier 1454 qui évoque les sombres époques de l’expansionnisme chrétien en Afrique.

“Nous avions jadis, par de précédentes lettres, concédé au Roi Alphonse, entre autres choses, la faculté pleine et entière d’attaquer, de conquérir, de vaincre, de réduire et de soumettre tous les sarrasins (c-a-d les Nègres), païens et autres ennemis du Christ où qu’ils soient, avec leurs royaumes, duchés, principautés, domaines, propriétés, meubles et immeubles, tous les biens par eux détenus et possédés, de réduire leurs personnes en servitude perpétuelle (…) de s’attribuer et faire servir à usage et utilité ces dits royaumes, duchés, contrés, principautés, propriétés, possessions et biens de ces infidèles sarrasins (nègres) et païens (…)

Beaucoup de Guinéens et d’autres Noirs qui avaient été capturés, certains aussi échangés contre des marchandises non prohibées ou achetées sous quelque autre contrat de vente régulier, furent envoyés dans les dits Royaumes “

 

 

 

 

Le paradigme hérité de l’historiographie de Hegel qui exclu l’Afrique de l’histoire et les dogmes anthropologiques de Gobineau qui refusent au nègre tout rôle important dans l’évolution de l’humanité à cause de la prétendue infériorité de sa « race » sont toujours en œuvre dans le monde occidentale mais le fait nouveau c’est que ce paradigme semble avoir gagné aujourd’hui la pensée moderne africaine sans doute par le biais de l’école et de la propagande.

On fait donc le constat que de nombreux ivoiriens, ont fini par intégrer ces préjugés et ces idées reçues sur les africains. On aboutit à une situation insolite c’est-à-dire une sorte de  racisme contre soi même.

Dans le propos qui précède, nous avons voulu attirer l’attention des uns et des autres sur les dérives du prosélytisme religieux et notamment dans ses conséquences néfastes pour la paix sociale.

Mais mieux encore, nous avons voulu à travers l’évocation de ces violences, alerter l’opinion sur la gravité de la situation culturelle du pays et sur les enjeux qu’elle implique. Ce dont il est fondamentalement question ici c’est la destruction des cultures africaines par des idiologies étrangères qui se déploient tranquillement à l’ombre des religions sous prétexte de rechercher le salut des peuples en combattant la sorcellerie et les pratiques délinquantes que nous décrions tous.

La diversité religieuse comme la diversité culturelle est un bien pour l’humanité qu’il convient de préserver. Et nous n’avons pas le droit sous quelque prétexte que ce soit de laisser saborder nos cultures qui ont pleinement leur place dans le monde.

Abidjan le 16 mai 2009

YAO N’Guetta et TRAORE Adama

Texte publié sur le site dyanbukam.com avec l’aimable autorisation de Kemetmaat. Extrait du fascicule 3 édité par l’association Kemetmaat de décembre 2011.

Source : dyabukam.com

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