À quelques trois mois de la CAN 2024, tout porte à croire que le stade Félix Houphouët Boigny d’Abidjan va abriter une poule de la compétition sans être totalement achevé. Lancés en Novembre 2020, les travaux d’agrandissement et de modernisation de l’enceinte devaient durer 18 mois, comme s’y était engagée l’entreprise portugaise chargée des travaux, Mota Engil. Cette situation est-elle une surprise ? Pas vraiment.
L’inquiétude était de mise depuis l’année dernière, quant à la tenue des délais. Beaucoup ne voyaient pas la fin des travaux avant 2024, alors que les autorités ivoiriennes ne cessaient de donner l’assurance que le stade serait « fin prêt ». Aujourd’hui, quasiment trois années après le début de ce chantier, soit le double du délai demandé par l’entreprise, le constat est sans ambiguïté, le stade ne sera pas achevé pour la CAN, même s’il pourra abriter des rencontres. On peut faire un parallèle avec le quatrième pont d’Abidjan en construction.
Le Ministre de l’Equipement ne cesse de claironner que le pont sera livré avant « Décembre 2023 ». Pourtant de gros morceaux du chantier n’ont pas encore été entamés, la voie expresse traversant le quartier Bramakoté, l’échangeur souterrain au niveau de la mairie d’Adjamé, le fly-over de 300 mètres sur l’avenue Reboul, et le raccordement à l’échangeur de l’Indénié. Ce sont des séquences qui vont nécessiter pas moins de deux ans de travaux, à cela s’ajoute la section Yopougon-Boribana, actuellement loin d’être terminée. Tout ceci amène à dire que le quatrième pont ne pourra pas être entièrement achevé avant 2026.
Un délai de neuf années pour organiser la compétition
La CAN 2019 qui devait se tenir au Cameroun fut reportée à 2020, puis à 2021, ensuite à 2022. En cause, le COVID, mais surtout l’état d’avancement des infrastructures. Ainsi la CAN qui devait initialement se tenir en Côte d’Ivoire en 2021, fut reportée à 2023, et finalement à 2024, là aussi du fait de l’état d’avancement des infrastructures. Si on s’en tient à la date d’attribution de la compétition à la Côte d’Ivoire, soit 2014, le pays a disposé de quelque neuf années pour organiser la compétition. Difficile de comprendre que les infrastructures ne soient pas totalement prêtes au terme d’un tel délai.
En Mai 2019, feu le Pm Gon Coulibaly lançait les travaux des infrastructures de la CAN. Pourquoi avoir attendu Novembre 2020, soit quelque 18 mois plus tard pour lancer ceux du stade Félix Houphouët Boigny, alors qu’ils étaient plus complexes à réaliser. Construire un nouveau stade « sans détruire l’ancien », en portant sa capacité de 33 000 à 40 000 places, avec tout un ensemble de commodités et de fonctionnalités. Coût des travaux, 65 milliards de FCFA, soit quasiment le coût du stade olympique (67 milliards).
Pour certains, les choses auraient été plus simples si on avait simplement rasé l’ancien stade et construit un neuf sur le même site. Beaucoup d’Ivoiriens ont exprimé leur hostilité sur les réseaux sociaux lorsque l’idée fut mise en avant dès 2014. Cette option a été écartée parce qu’elle revenait à « raser un pan de notre histoire », selon la formule employée dans la presse. Mais la modification de ce stade s’est révélée plus complexe que prévue, même si c’est la même entreprise qui a entrepris l’agrandissement du stade de Bouaké, un travail apprécié de tous.
Le retard dans la livraison des infrastructures de la CAN peut s’expliquer par le fait qu’elles ne sont pas financées à partir d’une ligne de crédit spécialement dédiée, comme ce fut le cas des infrastructures des jeux de la francophonie en 2017. Les investissements de la CAN sont financés par des lignes budgétaires classiques, le processus est lourd, bureaucratique, soumis à des aléas de toute sorte, ce qui impacte la célérité des travaux. Par exemple, les décaissements en faveur du stade Félix Houphouet Boigny, ne sont intervenus qu’en 2023, pour un marché attribué en 2020 !
D’autre part, on a appris que la CAN coûterait quelque 500 milliards FCFA à l’Etat. Lorsque les travaux étaient lancés en 2018, l’Etat avait évalué le coût de la CAN à quelques 200 milliards FCFA. Bien sûr lorsqu’on établit le budget de tels évènements, il faut toujours s’attendre à des surcoûts, des choses non prises en compte au départ. Mais ici la taille de l’écart entre le coût planifié et le coût réel, 300 milliards, interpelle. Comment a-t-on pu se planter à ce point dans les prévisions ? Ce dérapage des dépenses peut aussi expliquer le retard pris dans la livraison des infrastructures.
A gauche le stade Félix Houphouët Boigny en Juillet 2023, à droite la maquette du stade une fois achevé. On regrette que la hauteur de l’ex tribune lagunaire ne soit pas la même que celle de la tribune d’honneur en face, comme ce fut le cas du stade de Bouaké lui aussi agrandi.
Une autre question reste aussi à régler, il s’agit de l’autoroute de contournement qui longe le stade. Elle comporte deux échangeurs sur cette section, l’un au niveau du carrefour de N’Dotré, et le second qui dessert le stade. S’exprimant en début du mois de septembre, le Ministre de l’Equipement a donné “un trimestre” à l’entreprise pour livrer ce tronçon. Si la voie express a commencé à prendre forme, le délai est tout de même un peu court, surtout pour l’échangeur qui donne accès au stade. Là encore, à l’instar du quatrième pont, le ministre Amédée Kouakou est tout simplement dans l’incantation, dans le déni. On peut raisonnablement dire que ce tronçon d’autoroute ne sera pas totalement achevé pour janvier, même si des véhicules pourront l’emprunter.
Enfin il faut dénoncer l’éclatement du centre de décision. Sur le papier, le COCAN ( Comité d’Organisation de la CAN) reste l’ordonnateur unique de l’évènement. Dans les faits, le Ministère des sports, celui du budget, l’ONS ( l’Office National des Sports ), la primature et même la présidence interviennent sur divers aspects, toute chose qui est source de confusion, de blocage, voire d’immobilisme. Visiblement on n’a pas tiré les enseignements des jeux de la francophonie de 2017.
A gauche le stade Félix Houphouët Boigny en Juillet 2023, à droite la maquette du stade une fois achevé. On regretter que la hauteur de l’ex tribune lagunaire ne soit pas la même que celle de la tribune d’honneur en face, comme ce fut le cas du stade de Bouaké lui aussi agrandi.
Si aujourd’hui il est officieusement admis que le stade Félix Houphouet Boigny sera inachevé pour la CAN, une question reste en suspens : les travaux vont-ils reprendre sitôt la CAN terminée ? La logique voudrait qu’ils reprennent, les coûts étant pris en compte dans le budget programme 2020-2025. Pourtant ce n’est pas en soi une garantie, le stade peut rester indéfiniment en état de chantier même au cœur de la ville. On l’a déjà vu avec l’hôpital du plateau, le bâtiment n’a jamais été achevé, puis fut cédé à une structure privée. Les travaux du nouveau siège du ministère de l’intérieur inauguré en Mars 2023, ont duré plus d’une douzaine d’années !!! On sait aujourd’hui qu’une menace pèse sur l’achèvement du quatrième pont, notamment la section Boribana-Indénié. On peut aussi parler de la Pyramide, cet immeuble totalement délabré au cœur du plateau, dont la rénovation est maintes fois annoncée.
Oui les inquiétudes sur la poursuite des travaux du stade Félix Houphouët Boigny après la CAN, sont légitimes. Le stade olympique Alassane Ouattara d’Ebimpé se révèle être une infrastructure de pacotille, ainsi ils sont nombreux à réclamer que les rencontres importantes reviennent au bon vieux stade Félix Houphouët Boigny. Cela suppose qu’il soit entièrement achevé, en d’autres termes que les crédits mis en place pour ce stade ne prennent pas une « autre direction » après la CAN. A l’heure des réseaux sociaux, il y a un contrôle citoyen qui s’exerce sur l’activité gouvernementale. Nous pensons que les dirigeants ivoiriens sont suffisamment intelligents pour le comprendre, et surtout en tenir compte.
Douglas Mountain
Le Cercle des Réflexions libérales