Henrietta Lacks, l’Afro-Américaine dont les cellules immortelles ont révolutionné la recherche

La famille de Henrietta Lacks a conclu un accord avec une société accusée d’avoir profité de la commercialisation de ses cellules, ont annoncé mardi leurs avocats. Depuis plus de 70 ans, cette Afro-Américaine décédée en 1951 est plus connue de la communauté scientifique sous le sigle “HeLa”. Ce nom a été donné pendant des décennies à ses cellules, prélevées sans son consentement, qui ont révolutionné la recherche médicale.

C’est l’histoire d’une femme afro-américaine devenue immortelle… grâce à ses cellules hors du commun. Cette anonyme qui a laissé son nom à la postérité s’appelle Henrietta Lacks, décédée des suites d’un cancer du col de l’utérus à l’hôpital Johns Hopkins à Baltimore, en 1951.

Des cellules de sa tumeur ont alors été prélevées sans son consentement pendant son hospitalisation et utilisées pour des recherches en biologie moléculaire. Leurs qualités extraordinaires – elles sont notamment reproductibles à l’infini – ont permis de multiples avancées médicales ces dernières décennies sur des vaccins, des traitements contre le cancer ou encore sur la fécondation in vitro.

Plus de 70 ans après la mort de Henrietta Lacks, sa famille a conclu un accord avec une multinationale de biotechnologie (Thermo Fischer Scientific) contre laquelle elle avait porté plainte pour avoir profité de la commercialisation de ces cellules, ont annoncé mardi 1er août les avocats de la famille. Cette annonce est intervenue le jour où la femme la plus importante de la recherche médicale aurait eu 103 ans. Tout un symbole.

Des cellules “perpétuelles, éternelles, résistantes à la mort”

Pourtant, rien ne la prédestinait à un tel avenir. Henrietta Lacks naît en janvier 1920 à Roanoke, dans l’État de Virginie, dans une fratrie de dix enfants. Elle travaille d’abord dans un champ de culture de tabac avec sa famille, avant d’être mère au foyer, selon les archives de l’État du Maryland.

La jeune femme donne naissance à cinq enfants durant sa brève existence – elle décède à l’âge de 31 ans. Elle se voit diagnostiquer un cancer du col de l’utérus trois mois après son dernier accouchement à l’hôpital Johns Hopkins à Baltimore, en 1951. Malgré un traitement, Henrietta Lacks est emportée par la maladie en quelques mois.

Le médecin chargé de son suivi lui a cependant prélevé, sans lui demander l’autorisation, des cellules cancéreuses à des fins de recherche médicale. Dans ce même hôpital travaille George Gey, biologiste spécialisé dans l’étude des cellules malignes, qui va découvrir les qualités exceptionnelles des cellules “HeLa” – le nom qui a été écrit sur le tube d’échantillon pour Henrietta Lacks.

“À l’époque, c’est le début de la biologie cellulaire et moléculaire, et on constate que les cellules HeLa poussent en culture [hors de leur milieu de vie naturel, NDLR] et se reproduisent bien”, explique Jean-Marc Egly, biologiste moléculaire et directeur de recherche à l’Inserm. George Gey remarque que les cellules cancéreuses de Henrietta Lacks doublent en 24 h et se divisent indéfiniment, contrairement aux cellules classiques qu’il étudie et qui, elles, se multiplient plus lentement et meurent généralement en quelques jours.

“Les lignées cellulaires HeLa sont perpétuelles, éternelles, résistantes à la mort, ou tout autre mot que vous voulez utiliser pour décrire l’immortalité”, résume en 2013 Francis S. Collins, alors directeur du National Human Genome Research Institut, l’un des principaux instituts américains de la santé.

De multiples applications, des vaccins… à la mesure des effets de la bombe atomique 

Dès lors, les cellules HeLa ont entraîné des progrès considérables dans le domaine des sciences de la vie et de la santé. “Je dois beaucoup à Madame Henrietta Lacks. J’ai eu la chance de pouvoir travailler à partir de ses cellules”, affirme Jean-Marc Egly, qui se rappelle avoir commencé à travailler sur ce matériel en 1980.

Le biologiste moléculaire rappelle qu’avant toute avancée médicale, les cellules de Henrietta Lacks ont permis de faire avancer la recherche fondamentale – dont le principal objectif est la compréhension des phénomènes naturels.

“Grâce aux cellules HeLa, on a réussi à disséquer les premiers mécanismes de l’expression des gènes [à décoder l’information génétique contenue dans le matériel héréditaire, NDLR]”, poursuit le directeur de recherche à l’Inserm. “On a aussi pu identifier les complexes moléculaires pour comprendre comment telle ou telle protéine interagit. Cela a permis de gros progrès à partir du moment où on a pu identifier des protéines spécifiques, cibles thérapeutiques potentielles, pour créer des anticorps et faire de l’immunothérapie [lutter contre un cancer à partir du système immunitaire, NDLR].”

“Ces cellules vont aussi être parfois utilisées pour étudier les mécanismes de l’infection et créer des protéines recombinantes [à la base de vaccins comme celui de l’hépatite B, NDLR], et parfois pour d’autres applications médicales”, ajoute Jean-Marc Egly.

Les cellules de Henrietta Lacks ont en effet été utilisées pour la mise au point de vaccins, contre la poliomyélite ou encore contre le papillomavirus humain. Elles ont aussi participé au décryptage des virus et des tumeurs.

Des médicaments contre le VIH, l’hémophilie, la leucémie et la maladie de Parkinson ont aussi été développés à partir de recherches sur les cellules HeLa, selon l’ONU. Ces dernières ont aussi été étudiées pour obtenir des avancées dans le domaine de la santé reproductive, dont la fécondation in vitro, et elles ont encore été récemment utilisées pour des études menées dans le cadre de la pandémie de Covid-19.

Plus anecdotique encore : ces cellules ont été aussi “irradiées pour mesurer les effets de la bombe atomique, envoyées dans un vaisseau spatial (ou encore) utilisées dans des produits de beauté”, comme le raconte la professeure émérite de génétique Simone Gilgenkrantz.

“Traitée comme un rat de laboratoire”

Les cellules de Henrietta Lacks ont aussi eu un rôle déterminant pour les chercheurs du monde entier pendant des décennies, et encore aujourd’hui. “Elles sont un langage commun pour tous les scientifiques”, explique Jean-Marc Egly. “Comme tout le monde utilise ces cellules, on a la même matière première, et on peut ainsi discuter entre nous de nos recherches, qu’on soit américain, français, allemand…”

Ironie du sort, la famille de Henrietta Lacks n’a rien su de tous ces progrès jusqu’aux années 1970. Le journal Detroit Free Press se fait alors l’écho d’avancées obtenues grâce aux cellules HeLa. C’est aussi à ce moment-là qu’on découvre la véritable identité de la personne se cachant derrière la dénomination HeLa, restée un point d’interrogation pour la communauté scientifique pendant deux décennies.

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