POUR UNE DIASPORA AFRICAINE CONSTRUCTIVE : TROIS CONSTATS ET UNE RÉFLEXION SUR LE RÔLE PRIMORDIAL DE LA CULTURE ET DE L’ÉDUCATION

Le décès l’an dernier, d’un homme a priori engagé pour la démocratie dans son pays, Puis Nouméni Njawé, m’a d’abord incité à réfléchir sur les quelques lignes qui suivent. En plus de la mort de Njawé, les événements de ces derniers temps (en Côte d’Ivoire, les Révolutions de jasmin en Tunisie et en Égypte, de même que les soulèvements silencieux ou violemment réprimés au Maroc, en Syrie et au Yémen), m’ont encouragé à me lancer dans cette démarche un peu ‘mode d’emploi’. En effet, il s’agit non seulement de partager un constat mais aussi d’ouvrir une conversation critique sur l’avenir de l’Afrique noire. Ainsi, même si je souhaiterai m’adresser à tous les Africains, je concentrerai néanmoins mes propos sur un cas en particulier, celui du Cameroun, en passant par une réflexion historique inspirée de la Côte d’Ivoire. Je vais donc être franc et violent par certains de mes propos, car ils me semblent si vrais qu’ils doivent aussi s’entendre crûment !

Entre les années soixante-dix et quatre-vingts, il se déroula un événement particulier au pays du Vieux Houphouët Boigny : « l’Ivoirisation des cadres ». Il s’agissait là d’un processus qui devait permettre aux citoyens ivoiriens de prendre le contrôle des institutions publiques et économiques, jusque-là dominées par des immigrants Français, des Burkinabés, des Togolais ou des Béninois en majorité. L’Ivoirisation des cadres avait pour objectif ultime de créer un esprit nationaliste, de forger en l’Ivoirien un patriote, un « citoyen » si je puis dire, un peu à l’image de la « Révolution tranquille » au Québec des années soixante .

Or, entre les années soixante-dix et cette aube du 21ème siècle, ce fut un échec total de l’ivoirisation citoyenne des Ivoiriens. Ceux-ci, plus que jamais, sont restés ancrés dans leur ethnicité tribale : Agni, Ebrié, Dioula, additionnée à leur régionalisme identitaire : Sudistes, Nordistes, de l’Ouest, du Centre et de l’Est, etc. et non des citoyens ivoiriens. Comme au Cameroun, on pense surtout en terme de Douala, d’Ewondo, d’Haoussa, de Bami, d’Anglo, de Nordistes et de Sudistes…

À la mort de Puis Njawé en 2010, la question que je me suis posé était de savoir le pourquoi de cette mort subite. Je me dois de répéter cette question car pour les Camerounais, on meurt inévitablement, non de maladie ou d’accident fatal, mais « de quelque chose de forcément mystérieux », d’un acte de sorcellerie. Je me suis donc demandé si c’est véritablement pour la mystérieuse démocratie, celle pour laquelle Puis Njawé a dit se battre toute sa vie qu’est apparue cette mort, ou est-ce pour épauler quelques idéologues, des sorciers exilés chez l’Oncle Sam, eux-mêmes anxieux de prendre le pouvoir à Yaoundé pour en faire on ne sait quoi à leur tour ? Je suis en droit de me demander pourquoi l’Afrique noire aurait vu disparaître Njawé, loin de sa famille, dans une jungle des idées sorcières, à Washington, invité par un groupe d’inconnus, des autos proclamés « Représentants de LA diaspora camerounaise » ?

Constat numéro un : Vivre dans le mirage est dangereux !

Comme tout Camerounais, j’ai cru pendant longtemps que ce pays était non seulement riche mais aussi le meilleur pays au monde. Ce patriotisme primaire fut un leurre, un mirage enivrant qui ne m’a pas ouvert les yeux vers la citoyenneté. J’ai cru qu’ils – les Camerounais – étaient invincibles, hyper intelligents et capables de miracles. D’ailleurs, je sais qu’aujourd’hui encore, plusieurs de mes compatriotes croient mordicus en des capacités mystérieuses de leur pays. N’est-ce pas, soutiennent-ils souvent avec une fierté dont ils ne semblent pas mesurer le paradoxe, « qu’impossible n’est pas camerounais » ?

Une fierté plus que paradoxale car au fond de leur cœur, tous les Camerounais savent qu’ils ne sont pas riches, bien au contraire, ils sont pauvres, très pauvres même pour la grande majorité qui est aussi surendettés et vivant du jour au jour. Et même s’ils soutiennent souvent qu’ils sont les plus intelligents, ils savent en réalité que cela n’est pas vrai, que c’est là faire la pirouette de l’autruche, que c’est vivre dans un mirage. C’est ainsi que Puis Njawé est mort l’an dernier, j’en ai bien peur, en croyant faire l’impossible, un miracle à la camerounaise à Washington, dans un concert de sorciers qui annonçaient détenir la potion magique capable de « chasser du pouvoir Paul Biya », car ainsi avait-il intitulé leur rencontre, au nom d’une certaine diaspora camerounaise. Mais que signifie la notion de diaspora ?

Le concept de Diaspora est un mot composé qui vient du Grec, dia (à travers) et sporà (encensement). Une diaspora est donc un groupe d’individus formant un ensemble plus ou moins homogène, souvent ethnoculturel – comme les Grecs en Australie, ou les Juifs aux États Unis d’Amérique. On peut aussi parler de diaspora chinoise, cubaine, sénégalaise… Généralement, une diaspora, même quand elle est en opposition avec les gouvernants du pays d’origine, travaille pour la construction de ce pays d’origine. Il est connu que c’est la diaspora cubaine qui, malgré son opposition contre le régime de Castro, continue de fournir Cuba en devise étrangère.

La diaspora chinoise, longtemps contre le régime communiste de Mao, a néanmoins accompagné la Chine à devenir aujourd’hui la seconde puissance économique du monde (au moment où j’écris cette note), peut-être la première dans quelques années. Une diaspora camerounaise qui se limiterait à des gros titres comme : « Forum pour chasser Paul Biya d’Étoudi », ressemblerait à un groupe de sorciers distants qui manipuleraient des potions magiques sans pouvoir de changement réel, des potions qui n’arriveraient même pas à traverser la rivière d’à côté.

C’est ici la première boucle de ma première leçon : pour sortir du mirage de cette sorcellerie des gens qui nous disent que tout est possible, il faudrait comprendre qu’une véritable révolution nationale ne peut se faire qu’avec la volonté et la détermination des « voix citoyennes ». C’est ce que les expériences Tunisiennes et Égyptiennes nous ont appris. Le changement n’intervient pas avec les voix d’une diaspora faite d’apprentis-sorciers, mais avec des formations qui encouragent le développement d’une mentalité citoyenne. Ces Camerounais, auto-nommés représentants de la diaspora qui se croient intelligents, sont en réalité des apprentis-sorciers. À l’évidence, leur énoncé principal, « chasser Paul Biya d’Étoudi », signale le brevet d’une ignorance élémentaire qui, de surcroît, renforce l’idée que l’habitant actuel d’Étoudi est plus intelligent que ceux qui n’en veulent qu’à sa peau et ne souhaitent pas véritablement apporter du nouveau dans la construction d’une conscience citoyenne des Camerounais.

Constat numéro deux : une diaspora produit la richesse pour ses compatriotes

Une diaspora constructive construirait des écoles comme dans les villages du Mali, du Sénégal, d’Afrique du Sud et d’ailleurs. Elle n’attend pas du politique pour creuser des puits d’eau potable, mais s’engage dans de micro-projets pour les réaliser. Une véritable diaspora connaît le terrain de sa terre natale. Elle sait avec qui traiter. Elle apporte une évolution à la base, car c’est là que le changement émerge le plus souvent. C’est le peuple qui change ses élus et non le contraire. On l’a vu en Tunisie et en Egypte, avec une personne au départ, puis un quartier, une ville… de loin, de la France ou des États-Unis, cela n’a jamais fonctionné. Bref, une analyse simple du rôle diasporique démontrerait que, le plus souvent, les diasporas ont toujours eu une grande part dans la modernisation de la nation d’origine, dans l’évolution des mentalités humaines et pour le développement d’une mentalité citoyenne.

Depuis quelques semaines maintenant, d’autres sorciers éclairés, d’autres représentants d’une certaine diaspora camerounaise se sont réveillés sous le prétexte et l’énoncé principal de vouloir changer le pouvoir à Yaoundé. Comme si, de manière inéluctable, le changement de pouvoir à Yaoundé était la seule condition garantissant la production des institutions démocratiques. Ainsi, encore une fois, nous retrouvons le prétexte principal de ces apprentis-sorciers, représentants auto-nommés de LA Diaspora camerounaise : « Chasser Paul Biya du pouvoir » pour avoir des institutions démocratiques.

Les Africains devraient faire attention à ce type de proposition provenant d’individus avides et affamés, comme ceux qui ont servi sur un plateau la mort à Puis Njawé. Sous le prétexte de vouloir faire une révolution au nom du peuple, ces sorciers éclairés se cachant en terre étrangère pensent être au cœur d’un mouvement de libération. Toutefois, leur marginalité est symptomatique de leur idéologie utopique, car tous les Africains capables de réfléchir savent que les institutions démocratiques ne sont pas les seules conditions garantes d’une vie sociale, démocratique et juste, encore moins d’un fonctionnement politique démocratique. Les institutions démocratiques dépendent des gens qui y travaillent et qui les servent. Ainsi, ce sont les personnes impliquées, les hommes et les femmes dans ces institutions qui produisent un environnement social démocratique et juste, ou dégradé, corrompu et dégénéré.

Ainsi, pour libérer l’Afrique d’un autre mirage d’ignorance qui nous étreint, il faudrait d’abord, véritablement, moderniser les mentalités des petites gens avec de petits projets concrets. Il faudrait, si vous détenez des connaissances quelconques, aller les partager avec vos concitoyens. Il faudrait éduquer et former, car une véritable participation citoyenne commence par le partage des connaissances. Il faudrait sortir du tribalisme du régionalisme et autres croyances honteuses et irrationnelles des religions qui polluent le quotidien de nos pères, mères, frères et sœurs. Nous avons vu ce que cette ethnicité régionalisée et ces croyances à « certains esprits charismatiques » ont fait en Côte d’Ivoire récemment, plus tôt c’était au Liberia et en Sierra Léone. Nous savons ce qu’ils ont fait et continuent de faire au Soudan, au Congo, au Burundi, au Rwanda et bien ailleurs en Afrique.

Leçon numéro trois : Le tribalisme tue les Africains

Le tribalisme nous divise, il n’aide pas à la construction d’une nation commune. Il aide à renforcer des dictats et à déstabiliser les institutions nationales. Le problème, au Cameroun comme ailleurs en Afrique noire, en réalité, n’est qu’en petite partie dans les palais présidentiels. Notre problème, à nous Africains noirs, est fondamentalement l’ignorance tribale qui nous enferme dans une profonde mentalité coloniale. Un Douala ne marie pas ouvertement, sans problème, une Bamiléké ; une Bassa n’ira pas sans problème chez un Haoussa, et ainsi de suite. Les Camerounais, à cause de leur mentalité tribale qui définie leur identité primaire, sont restés des étrangers dans leur propre pays, même s’ils voyagent et s’installent librement ailleurs, hors de leur région natale. Cette identité tribale aurait forgé une mentalité raciste faite de stéréotypes dévastateurs tels: les Douala sont… les Bamiléké sont… les Sudistes, les Nordistes sont etc. des généralités stéréotypées naturalisées dans le langage quotidien que nous entendons sans réagir dans les conversations anodines tous les jours.

À ce tribaliste identitaire, plus qu’un coq dans la savane, l’homme africain est aussi, en général, un sexiste fondamentaliste. Son épouse, encore aujourd’hui, est son objet, son bien, sa propriété au nom de certaines valeurs tribales et sauvages. Cette ignorance le rend aussi violent, fondamentalement. Nous avons revu le film de cette violence lors des récents événements en Côte d’Ivoire, nous entendons parler de ce qu’il fait aujourd’hui au Congo, au Soudan et ailleurs. Motivé par l’appât du gain, avide de démontrer qu’il est le plus fort, armé de son tribalisme sauvage qui oppose le nord au sud, le chrétien au musulman, le Bété au Dioula, l’Ivoirien à l’étranger, cet ignorant a tué, une fois de plus, des milliers d’innocents. Ce sauvage ignorant a violé des femmes et des enfants, une fois de plus. On parle même de « seigneurs de guerre » en Côte d’Ivoire et au Congo, comme hier en Sierra Léone et au Libéria, ces beaux pays modernes à une certaine époque aujourd’hui ensevelis sous les cendres et le sang des innocents.

Le tribalisme tue les Africains et la diaspora africaine pourrait jouer un rôle important pour lutter contre ce cancer. Ainsi, une diaspora constructive devrait aider les citoyens des pays d’origine à entamer leur marche vers la modernisation des mentalités. Ici, au moins deux éléments sont fondamentaux : la Culture et l’Éducation. La Culture et l’Éducation semblent être les clés de tout processus de modernisation mentale, intellectuelle et pragmatique.

Réfléchissons

La Culture telle qu’énoncée avec une majuscule ici implique plus qu’une fierté patriotique sauvage du genre « impossible n’est pas camerounais ! » Seuls les référents de la grande Culture citoyenne sont garants d’une identité nationale forte au-delà du régionalisme et du tribalisme sauvage qui empoisonne l’Afrique noire. C’est elle qui ferait de la diversité tribale une unicité citoyenne. C’est elle qui réunirait les différences sous un même projet citoyen. Aujourd’hui, par exemple, si nous nous posons la question de l’identité culturelle au Cameroun, en Côte d’Ivoire ou au Congo, nous n’aurons aucune réponse cohérente, alors que c’est dans la culture qu’il faudrait puiser les ressources référentielles d’une construction identitaire citoyenne.

C’est la culture qui aiderait à répondre à la question suivante : qu’est-ce qui fait de vous un Camerounais, un Ivoirien, un Togolais, un Tunisien,…? Elle ferait la fierté d’un village, d’une région, d’une ville et ultimement d’une nation. Il faudrait donc des projets – au-delà de la représentativité tribale – pour élever les multiples cultures régionales et tribales au plan national et citoyen. Il faudrait créer des stratégies de représentation ‘transtribalistes’, car c’est par la construction d’une culture nationale métissée des différences que le tribalisme sera vaincu, et que cette gangrène cancérigène formée de stéréotypes sauvages qui polluent encore les relations humaines en Afrique noire sera percée pour de bon.

Si le projet de l’Ivoirisation des cadres en Côte d’Ivoire dans les années soixante-dix avait servi à créer une culture citoyenne, les Ivoiriens d’aujourd’hui n’auraient pas permis qu’un dictateur occupe avec force le palais de la république, ou que des rebelles divisent le pays en deux. Ils les auraient chassés au nom de la citoyenneté, comme en Égypte et en Tunisie, car la citoyenneté n’est pas régionale, ethnique ou raciale, elle ne serait pas été limitée à des discours de ‘nous’ versus ‘eux’ comme cela est souvent le cas dans ce type de conflits. Cette binarité primaire aurait disparu. Et les Ivoiriens parleraient de la nation, de leur citoyenneté culturelle comme le reflet d’une construction pragmatique de leurs différences. Il faut donc urgemment construire cette identité en Afrique noire aujourd’hui.

En effet, c’est urgent car dans un pays africain comme le Cameroun, avec sa constitution tribale plurielle assez particulière et en l’absence d’une identité citoyenne, les institutions démocratiques ne peuvent être les seules garantes d’un état démocratique, mais d’une démocratie fondamentalement démographique et tribaliste. Ainsi, les groupes tribaux à forte démographie seront ceux qui occuperont le pouvoir Ad Vita Æternam puisque le sentiment de la culture nationale – et même d’une identité nationale – est encore inexistant. Le tribalisme, une fois de plus, viendra s’interposer entre les hommes et vaincra la citoyenneté et la démocratie car les Africains ont pour coutume de voter pour le diable qu’ils connaissent et non pour l’ange auto-proclamé qui vient d’une tribu qu’ils ne connaissent pas, ne veulent pas connaître et avec lequel ils n’ont jamais eu de rapports citoyens. Ils votent pour le cousin et non pour son projet. Ils votent pour un nom et non pour l’idée que défend le nom, une loyauté aveugle à la tribu et non à un projet politique pour la nation.

Pour moderniser les mentalités, il faudrait donc que les Africains soient un plus inventifs. Il faudrait qu’ils se rapproprient les processus démocratiques, mais surtout la notion même de démocratie qui n’est pas innée mais un construit en soi. Il faudrait qu’ils arrivent à produire des démocraties contextualisées, localisées, ‘rappropriées’ à la réalité de chaque village, de chaque ville et de chaque situation nationale. En réalité, ce que j’essaye de soutenir est qu’il n’est plus admissible, en cette aube du 21ème siècle, que des nations africaines continuent à copier leurs modèles de gouvernance ou systèmes politiques sur des bases exclusivement occidentales. Il est inadmissible et honteux d’avoir des élus africains incapables de produire des idéologies démocratiques éthiques – c’est à dire des systèmes populaires d’une représentativité intégrative et adaptée au contexte à la fois historique, sociodémographique et culturel de leur nation.

L’Afrique mérite aujourd’hui, plus que jamais, une éthique politique affirmée par chacun de ses enfants, pas une complaisance démocratique. La démocratie africaine reste à inventer. Nous parlons ici d’une Africanité renouvelée, porteuse d’une identité éthique, nationale et citoyenne. Ce constat est particulièrement vrai pour tous les pays africains car la post-colonie n’a pas autorisé la construction de « nations citoyennes » en Afrique, et les Africains sont restés des « non citoyens » et des membres d’une tribu ou d’une région dans ces états postcoloniaux de non-droit. La Chine se développe aujourd’hui et ses citoyens entrent dans la modernité socioéconomique avec l’imparfait d’un modèle politique qu’il vaut la peine que les Africains étudient sérieusement, non plus pour en recopier le système, mais pour s’en inspirer pour créer leur propre modèle.

Au-delà des dichotomies binaires communisme/capitalisme, Est/Ouest ou Nord/Sud, il y a des marges propres que plusieurs nations africaines pourraient se rapproprier pour construire une citoyenneté nationale, car la démocratie à l’Occidentale n’est pas un lieu d’exclusive sainteté garantie dans un livre saint universel. Il existe de profondes inégalités sociales dans les plus grandes démocraties du monde, en commençant par les États Unis d’Amérique, la France, l’Empire Britannique ou l’Inde qui, hélas, ne sont pas dépourvus d’injustice.

Ainsi, la démocratie à l’occidentale n’est une rose transgénique sans épines, car elle ne fait pas de la représentativité des différences un objet idéal, a priori. Au contraire cette forme de démocratie, dans plusieurs contextes africains, sert à créer des exclusivités et à renforcer des inégalités tribales. Les pays africains ont urgemment besoin de visionnaires pour sortir l’Afrique de la mimésis coloniale sur lesquels les systèmes de gouvernance sont calqués !

L’Occident d’ailleurs, les Africains doivent enfin le comprendre, n’a plus le statut moral du modèle universel de la démocratie. Au nom de la démocratie occidentale, des Palestiniens continuent de mourir tous les jours depuis plus de 60 ans et des générations d’enfants, des innocents qui n’ont pas demandé à naître Palestiniens, n’ont pas les possibilités de voir au-delà des murs de la honte qui les confinent dans un territoire sans horizon, sans ouverture sur le monde. Les Chiites de l’empire arabe du Bahreïn meurent aussi depuis un moment sans que l’Occident lève le petit doigt, tout comme les Syriens.

Dans le même temps, au moment où j’écris ces notes, des milliards de dollars de bombes détruisent la Libye tous les jours quatre trois mois, au nom des pseudo principes démocratiques, une démocratie pétrolière déguisée derrière l’appât du gain. L’Occident a perdu son statut moral et ce n’est pas son modèle démocratique que les Africains devraient suivre, mais plutôt inventer une gouvernance éthique et contextuelle. Si éthiques nous sommes nés, éthiques nous devrions aussi grandir puisque seule cette forme de démocratie permettrait la modernisation et l’évolution des mentalités chez l’homme africain. Pour cela, pour avoir la vision nécessaire, en dernier lieu, l’Éducation devient l’ultime porte de sortie, LA condition sine qua none de toutes ces conditions de possibilité énoncées à travers les quelques lignes de ce texte.

J’écris aussi l’Éducation avec une majuscule pour dire que ce n’est pas parce que l’on est sorti d’une grande école ou d’une université occidentale que l’on est forcément éduqué. Ici, le sens que je donne à l’Éducation est bien plus que celui de savoir disserter. Il est plutôt le fondement primaire d’une modernisation intellectuelle sur les plans nationaux et collectifs. C’est en effet par l’Éducation qu’une nation vaincra la corruption des mentalités tribales. Sans des êtres véritablement munis d’une Éducation forte, une nation ne pourrait survivre.

Concrètement, en tant que membre d’une diaspora constructive, la question qu’il faudrait se poser est de savoir ce que, individuellement, chacun pourrait faire pour la Culture et l’Éducation de ses concitoyens. Ainsi, quelque soit nos métiers (plombier, maçon, professeur, assistant social, ingénieur, …), on pourrait participer à éduquer nos compatriotes et, se faisant, à élever la perception de leur identité citoyenne. On pourrait instruire nos compatriotes avec nos connaissances respectives.

Un maçon pourrait s’associer avec des maçons, pas seulement de son village natal mais de tous les villages de son pays, pour partager de nouvelles pratiques en maçonnerie. La diaspora pourrait aider ses compatriotes à mieux cerner les multiples facettes du charlatanisme et autres pratiques sauvages et de non-droits qui se retrouvent dans tous les coins des métropoles et villages Africains. On pourrait leur dire que la rationalité de ces pensées est caduque, car s’il s’agit de devenir riche, le charlatan, le sorcier ou tout autre voyant-pasteur auto-éclairé qui déclare détenir des pouvoirs mystérieux, mourra pauvre lui-même : il n’est qu’un escroc ! Surtout, on pourrait leur dire que le monde est à bâtir, que son existence, sa matérialisation dépend de ce que l’on en fait, de notre travail.

Travailler, c’est intellectuel et c’est manuel. Il n’y a pas d’autres issues car les résultats d’un travail ne tombent JAMAIS du ciel grâce aux prières d’illuminés évangélistes charismatiques qui sèment l’ignorance et la stupidité collective en Afrique noire, comme l’analyse d’Awazi M. Kungua le montre si bien dans son récent livre. La modernisation des mentalités demande de travailler pour participer à son édification car celle-ci ne tombe pas du ciel mais est l’œuvre des hommes. Il faut travailler avec nos mains et notre tête pour construire l’Afrique aujourd’hui. Ce n’est pas en brandissant des slogans à Paris, à Washington ou à Ottawa que l’on fera ce travail.

En tant que membre d’une diaspora constructive, on doit travailler pour inculquer l’esprit du travail bien fait dans nos pays respectifs. On doit démontrer, dans nos partages de la connaissance avec nos citoyens, que seul le travail bien fait est garant d’une modernisation collective, d’une production des institutions démocratiques et d’une justice sociale, car tout le monde y gagne, incluant celui qui le réalise. On pourrait démontrer – à la place de faire des gros titres – que c’est ainsi que les pays riches se sont développés, par le travail, le travail bien fait avant tout. On ne servirait mieux un tel parce qu’il est Bété, Douala, Tutsi ou Zandé, mais parce qu’il aime son travail, qu’il le fait bien.

Si les membres des diasporas africaines peuvent travailler et aimer leur travail dans des pays développés, comment ne seraient-ils pas capables de transmettre cet esprit à leurs compatriotes ? Éduquer est égal à la formation d’une civilisation citoyenne. Éduquer est aussi lutter de manière directe contre la corruption systémique devenue presque culturelle en Afrique et au Cameroun en particulier.

Ainsi, en inculquant l’idée que tout le monde gagne avec un travail bien fait par exemple, on ne donnera plus un bakchich à ce policier qui nous arrête parce qu’il manque un clignotant à notre voiture. On ira plutôt payer une contravention à la caisse de la nation et on fera réparer le clignotant ensuite, donnant ainsi un salaire au mécanicien, qui, ensuite ira payer ses impôts, etc. Élémentaire vous me direz, mais fondamental à rappeler dans le contexte de plusieurs pays africains. Souvenez-vous du déclic de la « Révolution de jasmin » en Tunisie dont, en réalité, le prélude vient du refus d’un jeune vendeur de rue à participer à la corruption d’un policier. Comme le dit si bien le philosophe Eboussi Boulaga dans son discours ironique au Camerounais en 2009, «la plupart d’entre nous sont des mécontents.

Il ne s’ensuit pas que nous voulions le changement. Il faut dire plus : la plupart ne veulent pas changer. Notre modèle est le chauffeur de taxi qui n’aimerait pas se trouver devant des policiers devenus subitement tous intègres. Il lui faudrait avoir une voiture en bon état continuellement, avoir ses papiers en règle, etc. Tout cela lui paraît plus insupportable que d’avoir à glisser quotidiennement quelques billets de cinq cents francs à ceux qu’il traite de tous les noms. » Les membres de la diaspora peuvent jouer un rôle primordial pour changer cette mentalité « d’On va faire comment ? » qui habite naturellement tous les Camerounais.

Avec l’Éducation, je referme ainsi ma réflexion sur la construction d’une identité citoyenne forte et j’invite les Africains, particulièrement ceux qui portent des pancartes en terre étrangère, à visiter d’autres pays africains qui s’en sortent. L’Afrique du Sud est un de ceux-là, le Maroc aussi vient de faire un pas vers une autre forme modernité. Même des pays comme le Nigéria auraient fait des pas de géant en créant quelques modèles, quoiqu’encore imparfaits, mais adaptés à leurs contextes sociodémographiques particuliers. Il faudrait tourner les yeux vers ces modèles-là. Par exemple, en Afrique du Sud, la Culture nationale est en train de construire une mentalité citoyenne forte au-delà d’une tribalisation politique.

Nelson (Rolihlahla) Mandela et Thabou Mbecki, les deux premiers présidents successivement élus, deux Xhosas, ont passé le pouvoir à un Zulu, orphelin, fils de berger, non-intellectuel mais éduqué, Jacob Zuma. Grâce à l’Éducation, grâce à une modernisation des mentalités, grâce à l’édification d’une éthique politique citoyenne, les services publics fonctionnent en Afrique du Sud et la mentalité tribale disparaît petit à petit, laissant la place à une culture citoyenne qui gagne les esprits et aide à produire de nouvelles classes sociales.

De Martin Luther King Jr, nous aurons compris qu’il était indispensable que les hommes apprennent à vivre ensemble sinon ils allaient se suicider et mourir ensemble. Cette vérité est tout à fait vraie pour tous les pays africains, avec leurs peuples tribaux à qui on a toujours dit qu’ils étaient tous beaux et riches, les plus forts et les plus intelligents. Il faut reconstruire cette « culture » citoyenne forte, afin que les Africains apprennent véritablement à vivre ensemble. Il faut développer un sentiment de la nation au-delà du tribalisme. Vivre ensemble de manière éthique reste le seul salut de l’Afrique de demain.

Boulou Ebanda nya Bonabedi, Ph.D.
L’auteur est Professeur agrégé en Sciences de la communication et de l’information, Spécialistes des études culturelles et Directeur de recherche au Laboratoire des médias audiovisuels pour l’étude des cultures et des sociétés à l’Université d’Ottawa (www.lamacs.uOttawa.ca)

Thu, 14 Jul 2011 07:35:00 +0200

0

Laisser un commentaire

Nous utilisons des cookies afin de vous offrir la meilleure expérience possible sur notre site Web. En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez notre utilisation des cookies.
Accepter
Refuser
Privacy Policy