RELIGION, PANAFRICANISME, AFROCENTRICITÉ ET RENAISSANCE CULTURELLE AFRICAINE ; LE PANAFRICANISME EST-IL DÉPASSÉ ?

« Notre prémisse est simple : sans une reprise en compte de notre religion et notre spiritualité, nous ne pourrons jamais renaître à nous-mêmes, et assumer notre place dans le monde, en tant qu’Africains. » Citation de Ama Mazama.

1- Cheikh Anta Diop, l’historien de la religion d’Amon.

En restituant à l’Afrique son histoire, Diop fonde d’un même mouvement l’histoire moderne de la religion africaine et réécrit également l’histoire des relations interreligieuses dans le monde.

En rupture avec la négrophobie ambiante de son temps, Cheikh Anta Diop postule et démontre l’existence d’une religion à essence monothéiste dans la société africaine qui remonte sans doute aux temps protohistoriques. Il établit, pour s’en tenir aux faits, que son origine est attestée en Nubie au quatrième millénaire, au cœur de l’Afrique nègre profonde.

Il est remarquable que l’hypothèse des deux berceaux culturels primitifs proposée par l’auteur jette une lumière inattendue sur l’histoire de l’humanité. Celle-ci postule que les caractéristiques distinctives culturelles et religieuses sont déterminées par le climat et les conditions d’existence matérielles. Ce sont les conditions exceptionnelles de l’environnement sédentaire et agricole qui feront de la vallée du Nil le berceau religieux de l’humanité. L’influence de ce berceau africain débordera pour s’étendre jusqu’ aux extrémités de l’Europe et de l’Asie.

Le père de l’histoire moderne africaine montre que cette religion première, qu’il nomme le « monothéisme ancestral », est la source cosmo-philosophique des religions dites révélées et des systèmes philosophiques grecs qui apparaissent tardivement dans l’antiquité. Grâce à son immense érudition, il introduit dans la pensée religieuse africaine deux concepts décisifs pour la conscience africaine, à savoir l’unité religieuse africaine sur l’ensemble du continent (le Dieu Amon est le dieu de toute l’Afrique aujourd’hui encore) et la continuité historique entre la religion nubio-égyptienne de l’antiquité et la religion négro-africaine des temps modernes. Ces deux idées augurent incontestablement de grands bouleversements dans le paysage religieux mondial. En plus, l’histoire de la religion africaine peut désormais remonter de l’antiquité à nos jours .
Cheikh Anta Diop considère l’islamisation et l’évangélisation qui se poursuivent à son époque comme des formes d’aliénation culturelle. Il est conscient que la religion en Afrique est inséparable de la tradition. Son extinction entrainera de facto celle de la culture africaine. Soucieux de la libération et du devenir de l’Afrique, il plaide pour une réforme de la religion nationale africaine qui permettra à la nation de résister à la guerre insidieuse qu’on continue de lui mener. En définitive, Cheikh Anta Diop réhabilite la religion africaine en ayant recours à la science historique pour établir neuf thèses principales. En cela, il apparait incontestablement comme l’historien de la religion d’Amon.

L’étude que nous venons de mener renouvelle notre grille de lecture de la religion dans l’œuvre de Cheikh Anta Diop. Elle montre qu’il n’apparait nulle part, dans les écrits de Diop, aucune caution à l’œuvre des religions étrangères. Bien au contraire, il condamne fermement l’islamisation et la christianisation de l’Afrique et se positionne clairement comme le défenseur d’une religion africaine.

Mais ce n’est pas tout. En reconstruisant l’histoire de la religion d’Amon, Cheikh Anta Diop vise en réalité la restauration de la conscience religieuse africaine car son objectif est de conduire les Africains à la renaissance de la religion africaine. De ce point de vue, Cheik Anta Diop apparait in fine comme le rédempteur de la religion africaine.

2 – La postérité de Cheikh Anta Diop : l’Afrocentricité et la renaissance religieuse.

Dans son œuvre, Cheick Anta Diop considère que l’héritage religieux africain – comme son héritage scientifique et culturel – fait partie intégrante de la conscience de l’Africain nouveau. C’est ce qu’il avance à la fin de l’introduction de Civilisation ou barbarie :
« L’Africain qui nous a compris, écrit Diop, est celui-là qui, après la lecture de nos ouvrages, aura senti monter en lui un autre homme, animé d’une conscience historique, un vrai créateur, un Prométhée porteur d’une nouvelle civilisation et parfaitement conscient de ce que la terre entière doit à son génie ancestral dans tous les domaines de la science, de la culture et de la religion » .

 

Il est indéniable que Cheikh Anta Diop n’exige pas le retour des chrétiens et des musulmans à la religion de leurs ancêtres. Cependant, il est aussi clair qu’il invite les Africains adeptes des religions étrangères à prendre conscience que la religion africaine, qui est la religion nationale, constitue la base de la civilisation africaine. Elle est, en dernière instance, le rempart le plus sûr contre toute aliénation culturelle insidieuse de l’étranger.


De même que la constitution de l’Union Européenne considère l’héritage religieux européen comme une des bases de sa civilisation et affirme que les peuples européens sont fiers de leur identité et de leur histoire nationale , de même les adeptes des religions étrangères doivent considérer la religion africaine comme devant être la source principale des valeurs de la société dans laquelle ils vivent.

Or, c’est la Maat, le plus ancien code moral de l’humanité – attestée dès le quatrième millénaire avant l’ère occidentale – qui détermine toutes les valeurs morales et éthiques, le droit, les rapports sociaux et économiques, la psychologie que partage encore aujourd’hui toute l’Afrique négro-africaine. Elle est l’incarnation des principes d’équilibre, d’harmonie et de justice. Toutes les sociétés traditionnelles africaines ont conservé ce code exigeant dans leurs langues. Ainsi les Baoulé le nomment-ils « Gnamien mla » , la Loi de Dieu. La Maat est donc au cœur des enjeux de la renaissance africaine et les Africains convertis aux religions étrangères sont face à leurs responsabilités. Que doivent-ils faire quand les valeurs et les pratiques de leur nouvelle religion sont en contradiction avec leur conscience historique et, pour dire clairement, leur patriotisme ? Doivent-ils renoncer à leurs nouvelles religions ou doivent-ils l’amener à s’acclimater à la culture africaine, c’est-à-dire, en dernière instance, à respecter les valeurs ancestrales africaines de la Maat ? Tel se pose le problème.

Toutes les thèses qui soutiennent qu’on peut être panafricaniste au sens de Diop et être adepte d’une religion étrangère ne résistent pas à l’analyse approfondie de la pensée.

En réécrivant l’histoire de la religion africaine, Cheikh Anta Diop ne fait pas seulement œuvre de science mais il pose un acte politique et historique de très haute portée en posant pour la première fois, et de manière ferme, les bases théoriques de la renaissance religieuse africaine. Ce qui constitue un véritable appel à la reprise de l’initiative historique par les Africains.
Il aura fallu attendre XIIIe siècles après la fermeture du dernier temple africain à Kemet, qui a marqué l’éradication totale du monothéisme ancestral, pour voir un penseur africain amorcer la renaissance théorique de la religion. L’appel du savant africain à la renaissance religieuse a été entendu et compris par de nombreux intellectuels panafricains. Ceux de l’école de l’afrocentricité retiennent particulièrement ici notre attention. Ils vont approfondir, systématiser sa pensée et ouvrir une nouvelle perspective en encourageant ouvertement le retour impératif des Africains conscients à leur religion ancestrale.

Sur la base des travaux de Cheikh Anta Diop, le philosophe Molefi Kete Asante assoit la théorie de l’afrocentricité qui vise en définitive à mettre au centre de la pensée et de l’action de l’Africain les expériences historique, scientifique, philosophique et religieuse de ses ancêtres.


Par ailleurs, ayant fait le même constat que Cheikh Anta Diop au sujet de l’effet aliénant de l’islamisation et de l’évangélisation sur les Africains, Molefi Kete Asante insiste plus que Diop sur l’incompatibilité entre la personnalité africaine et l’appartenance aux religions dites révélées :
« L’effet le plus mutilant de l’islam, aussi bien que du christianisme pour nous, est l’adoption de coutumes et comportements non africains, dont certains sont en contradiction directe avec nos valeurs traditionnelles » .
Quant à Ama Mazama, elle se préoccupe au plus haut point de la destruction de la sacralité des Africains et de leur environnement par les religions dites révélées :
« Cependant, malgré l’énorme travail de Cheikh Anta Diop, et d’autres après lui, pour exposer notre grandeur historique et culturelle, la question de notre « faible estime culturelle » garde malheureusement toute son acuité… C’est que le pire crime du colonialisme ne fut peut-être pas la falsification délibérée de notre histoire, falsification que Diop s’acharnera à corriger, mais bien comme le suggère John Henrik Clarke, « la colonisation de l’image de Dieu » … Ce qui est atteint, ce n’est pas seulement notre intellect mais bien notre âme ».

La plus grave conséquence de ce « monopole de l’image de Dieu », selon Ama Mazama, est « Notre difficulté à nous concevoir comme sacrés en tant qu’Africains » . C’est pourquoi elle proclame le retour impératif à la religion de nos ancêtres : « Notre prémisse est simple : sans une reprise en compte de notre religion et notre spiritualité, nous ne pourrons jamais renaître à nous-mêmes, et assumer notre place dans le monde, en tant qu’Africains » .


Il est remarquable que les adeptes de l’Afrocentricité aient ouvert la voie en proclamant la rupture avec les religions étrangères et en passant concrètement à l’action sur le terrain, à partir des bases rigoureuses de l’histoire de la religion d’Amon, telle que reconstituée par le visionnaire Cheikh Anta Diop. Ama Mazama et Molefi Kete Asante, sous l’inspiration des ancêtres, achèvent d’écrire en 2010 les textes sacrés de la renaissance religieuse africaine rassemblés dans le Munkanda Wa Tshijila . Cet acte de haute portée historique marque ainsi le départ officiel de la religion amoniste reformée : le Mwikadilo Muya .

Cinq ans sont passés et, partout dans les divisions d’Afrocentricity International, à Philadelphie, Paris, Abidjan, Douala, Rio de Janeiro, Hararé, Port-au-Prince, Pointe-a-Pitre, etc., les cultes du Mwikadilo Muya sont rendus aux ancêtres par les Kamits dans la discrétion et la dignité. Anta Diop lui-même est célébré dans ces nouveaux temples en sa qualité d’ancêtre glorieux. Le sommet religieux kamit organisé à Douala au mois de mai 2016, à l’initiative de la Per Aat Ama Mazama, aura été l’occasion de faire un premier bilan de cette réforme .

Dans l’article plusieurs fois cité dans cette étude : « Un continent à la recherche de son histoire » , Cheikh Anta Diop assignait à la reforme religieuse les tâches précises suivantes : « La création d’une hiérarchie, d’une liturgie mieux adaptée, la formation et l’éducation d’une caste de prêtres à l’échelle du continent, l’approfondissement et la normalisation du dogme sur la base du monothéisme ancestral » . A cela, il faut ajouter la question fondamentale de la propagande comme il le suggère dans le même article. Ces tâches restent valables pour servir comme un référentiel pertinent pour cette première évaluation de la renaissance religieuse, bien sûr, en prenant en compte les défis nouveaux de notre temps.

On peut donc dire, en conclusion, que les travaux et les actions du mouvement de l’afrocentricité font chaque jour de la pensée religieuse de Cheikh Anta Diop un héritage vivants

Extrait de l’ouvrage « Cheikh Anta Diop, l’historien de la religion d’Amon » de Yossi Traoré Adama, Edition Afrocentricity International, 2017.

Mon, 28 Jun 2021 11:30:00 +0200

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