1- Introduction
L’obscurantisme religieux est à l’intelligence humaine un peu ce que la gravité est aux avions. Partout, toujours, les avions doivent lutter contre la gravité. Dès qu’ils cessent de lutter, ou qu’ils sont mal entretenus, ou mal pilotés, les avions sont immanquablement entraînés au sol, parfois violemment.
C’est en gros la même chose pour l’intelligence humaine. Dès qu’on cesse de lutter activement contre l’obscurantisme religieux, dès qu’on se met à croire bêtement sans preuves, on se dirige vers une catastrophe.
2 – Premier symptôme: l’obscurantisme religieux commence par obscurcir sa propre nature
Un des premiers symptômes d’une société «infectée» par l’obscurantisme religieux est que la nature même de l’obscurantisme religieux devient obscure. La population en général commence à croire que l’obscurantisme est défini comme «la maladie que nous ne pouvons pas avoir». Lorsque vous prononcez les mots «obscurantisme religieux», Monsieur Tout-le-Monde pense à des musulmans bizarres avec des turbans, vivant dans un pays rempli de sable et de pétrole, ou encore il pense à des chrétiens fous qui tentent de réparer leur voiture en lisant la Bible, plutôt que de lire un manuel de mécanique automobile. Monsieur Tout-le-Monde ne commence pas par s’examiner lui-même pour voir s’il est contaminé avec l’obscurantisme religieux.
Comment devrait-on définir «obscurantisme religieux»? Je propose:
«La maladie sociale par laquelle les citoyens commencent à unifier ou séparer le sujet du prédicat pour une raison autre que l’évidence, sans s’en rendre compte».
Essayons d’expliquer cette définition. Rappelez-vous qu’affirmer quelque chose veut dire «unifier ou séparer le sujet du prédicat». Par exemple, vous pouvez «unifier» le sujet «ma main» avec le prédicat «cinq doigts» en affirmant:
Cette affirmation sera vraie ou fausse, dépendamment de si vous avez été prudent en utilisant vos outils électriques! Sérieusement, si votre main a cinq doigts, et que vous le voyez et le touchez avec évidence, vous savez que l’affirmation est vraie, grâce à quelque chose «d’interne» à l’affirmation. Vous affirmez parce que l’évidence est là, pas à cause d’une quelconque croyance.
Croire quelque chose n’est pas nécessairement de l’obscurantisme religieux. Par exemple, si votre médecin vous dit: «Prenez ces pilules pour faire baisser votre pression», vous allez probablement le croire. Mais vous savez que vous le croyez, vous savez que vous n’avez pas en ce moment les connaissances médicales pour comprendre ce qui est dans ces pilules, et pourquoi elles peuvent vous aider (voir aussi «100% des religions sont fausses (± 1%)» pour plus d’explications sur les croyances).
L’obscurantisme religieux commence quand vous vous mettez à croire, sans même vous en rendre compte. Remarquez les deux parties de l’expression: «religieux» a rapport à croire qu’une affirmation est vraie, et «obscurantisme» a rapport au fait que vous ne vous rendez pas compte que vous êtes en train de croire, par opposition à savoir.
3 – Deuxième symptôme: l’obscurantisme religieux attaque la science
Un autre symptôme typique de l’obscurantisme religieux est que la science est attaquée, souvent par les scientifiques eux-mêmes, et des scientifiques qui ne se rendent même pas compte qu’ils attaquent la science! De nos jours, non seulement est-il facile de trouver des citoyens ordinaires qui croient à la science sans même savoir clairement ce qu’elle est, mais plusieurs scientifiques tombent aussi dans ce panneau (voir aussi «Croire en la science n’est-il pas anti-scientifique?», mais aussi le chapitre 3 de [Gauch, Hugh G. Scientific Method in Practice, London, Cambridge University Press, 2003] concernant «la Guerre de la science»).
Quelques exemples:
3.1) On ne considère plus la philosophie comme une science. Ceci semble causé par une définition incorrecte de la «science», et un manque de connaissances sur la «Philosophia Perennis» (ou tradition philosophique correcte).
3.2) On confond la connaissance scientifique avec «ce que disent les scientifiques». Plutôt que de considérer la connaissance scientifique comme étant le produit d’un syllogisme démonstratif, la science devient «ce que disent la majorité des gens généralement considérés comme étant des scientifiques».
3.3) On pose les fondations de la science sur la foi plutôt que l’évidence. Plusieurs prétendent que la logique et les faits «ne nous font faire qu’une partie du chemin; ensuite il faut faire le reste du chemin pour atteindre la croyance» [Brown and Keely, Asking the Right Questions; A Guide to Critical Thinking, 6th Ed., p. 196], ou que «la science est posée sur la Foi» [Hugh G. Gauch, Scientific Method in Practice, p. 152. Mais remarquez que je considère ceci comme un des rares défauts du livre de Gauch, qui autrement me semble excellent].
3.4) La métaphysique est remplacée par la physique expérimentale. Plusieurs sophistes populaires de nos jours prétendent toutes sortes de choses sur Dieu, sur notre âme spirituelle, sur notre intelligence et notre libre-arbitre (ou plus fréquemment ils en nient l’existence!). Leurs arguments (généralement mauvais et sophistiques) sont philosophiques, mais ils prétendent se fonder sur les conclusions de la physique expérimentale (conclusions fortement «interprétées», bien sûr!).
3.5) La connaissance scientifique elle-même devient très incertaine. «Ce qui était scientifiquement vrai hier n’est plus vrai aujourd’hui, et ce qui est scientifiquement vrai aujourd’hui sera faux demain», affirme l’obscurantisme religieux. Bien sûr, des choses comme le Théorème de Pythagore ne sont jamais mentionnées, ni le fait que la physique newtonienne est encore bonne, dans certaines conditions (que Newton lui-même ne pouvait pas soupçonner, et qu’il n’a donc pas mentionné). La connaissance scientifique devient un magma flou et changeant, constamment modifié par la culture, la langue, etc.
3.6) Des philosophes de la science bien connus, comme Karl Popper, Imre Lakatos, Thomas Kuhn and Paul Feyerabend attaquent les fondements même de la science. Hugh Gauch parle des «Quatre malheurs mortels» de la science, c’est-à-dire des quatre étapes par laquelle on détruit la science:
3.6.1) «La vérité insaisissable». Karl Popper a dit que la science ne pouvait pas prouver qu’une théorie était vraie, mais seulement qu’une théorie était fausse (la «falsifiabilité»). «Donc, le mieux que la science pouvait faire était d’offrir de nombreuses conjectures, de réfuter les pires avec des données en sens contraire, et d’accepter provisoirement les théories survivantes. Mais cela implique que même si «on cherche la vérité, on ne peut jamais être sûr qu’on l’a trouvée»» [Karl Popper, cité dans Gauch 2003, p. 82].
3.6.2) «Les théories sous-déterminées». Selon Popper, toutes les observations sont «contaminées» par la théorie. «Mais si les observations sont pleines de théorie, cela signifie que les observations ne sont que des théories, et donc comment une théorie peut-elle falsifier (encore moins vérifier) une autre théorie? Curieusement, toutes les implications de cette petite complication n’ont pas été pleinement comprises par Popper, mais par Imre Lakatos: non seulement les théories scientifiques sont invérifiables, mais elle ne sont pas falsifiables non plus» [cité dans Gauch 2003, p. 84].
3.6.3) «Les paradigmes incommensurables». Gauch résume Kuhn ainsi: «Un paradigme est un terrain d’entente large et une matrice disciplinaire qui unifie un groupe particulier de savants à un moment donné». Les paradigmes sont incommensurables, c’est-à-dire qu’«aucune mesure commune ou critère ne peut être appliqués à des paradigmes concurrents pour faire un choix rationnel et objectif entre ces deux paradigmes». La science selon Kuhn est «a-rationnelle». Les paradigmes incommensurables impliquent des choix arationnels. En d’autres mots, Kuhn ne permet pas que la vérité soit un critère des théories scientifiques» [Gauch 2003, p. 86].
3.6.4) «Les objectifs redéfinis». Traditionnellement, la science a eu les objectifs de la rationalité, la vérité, l’objectivité, et le réalisme. Mais Feyerabend et d’autres comme lui, luttant contre la soi-disant «tyrannie de la vérité», prétendent que «un poids égal devrait être accordé aux avenues concurrentes de la connaissance, comme l’Astrologie, l’Acuponcture et la Sorcellerie» [Paul Feyerabend, cité dans Gauch 2003, p. 88].
3.7) Certains scientifiques participent à la destruction de la science. «Il y a de bonnes raisons pourquoi la philosophie de la science du vingtième siècle, sous l’influence malveillante de Popper jusqu’à Feyerabend, est profondément hostile à la science elle-même… C’est en effet malheureux que plusieurs scientifiques, par ignorance, citent ces philosophes en accordant leur approbation. Les victoires les plus efficaces sont celles où les perdants aident bêtement leurs adversaires» [cité dans Gauch 2003, p. 91].
Etc., etc…
4 – Troisième symptôme: l’obscurantisme religieux attaque la morale
Un troisième symptôme de l’obscurantisme religieux est que la morale est attaquée, de même que la politique, qui a de nombreuses connections avec la morale.
Quelques exemples:
4.1) L’éthique est remplacée par la sociologie. Le «bien» et le «mal» deviennent le consensus de telle population, dans tel territoire. Lorsque vous demandez à des gens infectés par l’obscurantisme religieux de définir «bien» et «mal», ils ne disent jamais: «D’accord, essayons d’aborder ce problème scientifiquement». Au contraire, ils vont souvent affirmer avec grande certitude que la science ne peut pas définir le bien et le mal, même s’ils sont incapables de définir la science ou d’expliquer ce qu’est l’éthique!
4.2) Les débats publics des dossiers politiques sont réduits ou éliminés. Un bon exemple ici au Canada est le problème des unions homosexuelles. Je n’ai pas encore vu un seul bon débat à ce sujet, surtout que La première étape pour avoir un tel débat n’a jamais été franchie, à ma connaissance.
4.3) Le mariage est défini comme «ce qui ne peut être défini». Je suis encore surpris par les réactions des couples qui vivent en concubinage. Si vous leur demandez pourquoi ils ne sont pas mariés, ils vont vous expliquer, avec une grande certitude, que le mariage n’est pas fait pour eux. Si ensuite vous leur demandez ce qu’est le «mariage» (puisque bien sûr ces gens ne peuvent pas avoir décidé rationnellement d’éviter de se marier, à moins de savoir ce qu’est le mariage), vous vous ferez souvent crier des bêtises, plutôt que d’avoir une définition! Ils croient tout simplement que le mariage est mauvais, et refusent de réfléchir à ce sujet!
4.4) Les droits de la personne sont très importants, mais peu savent pourquoi ils en ont. Faites cette expérience: demandez à quelqu’un s’ils ont des droits. «Bien sûr!» est la réponse inévitable. Demandez-leur ensuite pourquoi. «Parce que la Loi le dit!», est une réponse fréquente. Mais si la Cour Suprême légalisait le viol, le viol deviendrait-il un droit? «Oups! Ma voiture est stationnée en double!» est une réponse typique.
Etc., etc…
5 – Conclusion
De quoi aurait l’air un désastre social total, si une telle chose existait? Quelle est la définition de «calamité»? Certainement, une guerre nucléaire totale serait une calamité, de même qu’une météorite immense qui frapperait la planète Terre. Mais je suggère que l’obscurantisme religieux peut lui aussi être une catastrophe. Après tout, agir bien, c’est agir en conformité avec la raison, alors si on abandonne la raison, rien ne nous empêche de tomber dans les pires malheurs imaginables.
Si on n’arrête pas l’Ennemi public numéro 1, l’obscurantisme religieux, il n’y a pas de limites aux dommages qui peuvent être faits.
«En effet, le débat à savoir si oui ou non la science a une rationalité crédible est une question immensément importante»
[Gauch 2003, p. 77].
«La seule alternative aux droits fondés sur la métaphysique, c’est les droits fondés sur la Loi du plus fort»
[Kreeft 2002, p. 24].
Selon moi, l’obscurantisme religieux est une vraie menace, et nous risquons de tout perdre. La seule métaphore qui me vient à la tête, pour décrire notre situation actuelle, est le Coyote qui vient de dépasser le bord du précipice en courant après le Road Runner. Les pattes du Coyote sont appuyées sur rien du tout, mais il reste momentanément suspendu au-dessus du précipice.
J’ai parfois l’impression que nous avons outrepassé le rocher de la Raison en courant après le Plaisir, et qu’on ne s’est pas encore rendu compte que nos Universités, nos Lois et notre Morale tiennent sur rien du tout…
Source : inquisition.ca
Je recommande ceci