John Magufuli, un président atypique et efficace trop tôt parti

Décédé à 61 ans, John Magufuli était le 5e président de la Tanzanie. Il n’eut pas besoin de tuer les Tanzaniens, ni d’attaquer son pays, ni de brûler les étapes, pour diriger le pays. Il n’avait pas pour habitude d’utiliser l’argent du pays pour financer des campagnes électorales en Occident comme certains qui se croient obligés, pour conserver un pouvoir immérité, de cacher des millions de dollars dans des djembes à destination de l’Élysée. Avant d’occuper le fauteuil présidentiel, John Magufuli fut élu député dans la province de Chato en 1995, en 2000 et en 2010. Auparavant, il avait fait de solides études en chimie et en mathématiques, des études couronnées par un doctorat en chimie obtenu en 2009 à l’Université de Dar es Salaam.
Il était certainement loin d’être parfait. Par exemple, il lui était reproché d’avoir minimisé et mal géré la pandémie de Covid-19, de museler l’opposition, d’avoir fait stopper en janvier 2016 la diffusion en direct des débats parlementaires ou de n’avoir jamais fait la lumière sur la tentative d’assassinat en 2017 de Tundu Lissu, du parti Chadema, mais tout le monde, ses détracteurs y compris, est d’accord pour admettre que John Pombe Magufuli fit avancer la Tanzanie et que ses compatriotes se souviendront longtemps de lui comme ils se souviennent encore du Mwalimu (instituteur en Swahili) Julius Nyerere dont le défunt appréciait bien l’austérité, la simplicité, le patriotisme, l’esprit bâtisseur et l’indépendance d’esprit vis-à-vis des pays occidentaux. Le présent article se propose de revenir sur ces 5 qualités.

L’austérité. Magufuli, qui disait savoir ce que signifie être pauvre et qui avait promis d’améliorer le bien-être des populations, avait dû travailler dur pour financer ses études. Les rares fois où il sortait de son pays, c’était pour prendre part à des réunions en Afrique. Durant sa présidence, jamais il ne mit les pieds en Europe ; ça ne l’intéressait pas d’aller flâner dans les rues de Londres, de faire des achats sur les champs Élysées ni de se soigner dans un hôpital allemand. Ce qui le préoccupait, c’était de créer chez lui ce qui rend la vie agréable en Europe. Dès qu’il accéda au pouvoir, il réduisit la taille de son cabinet. Celui-ci passa de 30 à 19 membres. Le pays étant moins riche que le Kenya, il était contre les voyages des fonctionnaires du gouvernement à l’étranger et avait aboli leurs exonérations fiscales. Ministres et hauts cadres de l’État pouvaient adhérer à de telles mesures parce que le président lui-même était exemplaire, parce qu’il n’était pas dans les dépenses inutiles ni dans le gaspillage des deniers publics. Il diminua la masse salariale publique en faisant la chasse aux milliers de travailleurs fantômes ainsi qu’aux fonctionnaires corrompus ou peu performants. Il mit fin aux dépenses extravagantes, annulant les célébrations de la fête de l’indépendance. Nouvellement élu, il divisa son propre salaire par quatre, devenant l’un des chefs d’État africains les moins bien payés. Il fit la guerre aux absences et aux retards dans la fonction publique.

La simplicité. Ses coreligionnaires catholiques étaient touchés chaque fois qu’ils le voyaient chanter dans la chorale paroissiale, jouer du tam-tam ou faire la quête. Il n’avait pas peur de se salir les mains en prenant une pelle pour ramasser les déchets se trouvant devant le palais présidentiel. Quand il revenait de ses voyages à l’intérieur du pays, il aimait utiliser la voiture afin de s’arrêter en route et échanger avec ses compatriotes. Cela lui permettait de voir l’état réel du pays, de toucher du doigt les difficultés des gens et de connaître les aspirations de la Tanzanie profonde.
Le patriotisme. Jamais l’ancien président ne brada les richesses de son pays. Quand il était face à des investisseurs étrangers, il cherchait à savoir, non pas combien il allait personnellement gagner, mais ce que la négociation rapporterait au pays. La société britannique Acacia Mining accusée d’exploitation minière illégale et d’avoir sous-évalué les exportations d’or de la Tanzanie, dut payer 300 millions de dollars et donner à la Tanzanie une participation de 16% dans 3 mines. Plus de 250 conteneurs furent saisis au port de Dar es Salaam.

L’esprit bâtisseur. L’Université de Dodoma, la capitale du pays, lui décerna en 2019 le titre de docteur honoris causa en reconnaissance de ses efforts pour améliorer l’économie du pays. On l’appelait “le Bulldozer” (tingatinga en Swahili) parce qu’il avait fait construire des logements pour les pauvres, des routes, un chemin de fer pour que le pays soit relié à ses voisins régionaux, des autoroutes, parce qu’il avait mis en place un système de transport en commun rapide dans le centre de Dar es Salaam, parce qu’il avait augmenté la production d’électricité, parce qu’il avait relancé la compagnie aérienne nationale, Air Tanzania. Avant l’élection de Mafuguli, la compagnie était clouée au sol et n’avait qu’un avion dans sa flotte. Aujourd’hui, elle en compte 6. Le train à voie standard de Tanzanie, le survol de Mfugale, la station hydroélectrique Julius Nyerere et l’échangeur d’Ubungo font partie de ses réalisations. On pourrait citer également le pont Selander, le pont Kigongo-Busisi, l’agrandissement du port de Dar es Salaam, le terminal de bus de Dodoma, le projet d’hôpital d’Uhuru, l’usine de raffinage d’or et la gare routière de Magufuli.

L’indépendance d’esprit. Magufuli n’était pas homme à courir après la prétendue aide du FMI ou de la Banque mondiale. En finançant la plupart de ses projets avec les recettes du pays, il démontra que l’Afrique pouvait se prendre en charge et se développer sans mendier auprès des pays occidentaux.

Mais John Magufuli ne se contenta pas de doter son pays d’infrastructures. Lui était aussi chère l’éducation de ses concitoyens. C’est dans ce but qu’il rendit en 2016 l’enseignement gratuit obligatoire dans les écoles publiques.
Le jour de son inhumation, des millions de Tanzaniens étaient évidemment inconsolables. Après la disparition de Nyerere, c’est la première fois que tout un pays était autant dévasté, autant meurtri. “Il était notre défenseur, pour la plupart d’entre nous qui sommes faibles et sans voix, les petits commerçants, les vendeurs de rue. C’était un président très singulier qui a montré un réel amour pour son peuple, en particulier pour les gens de basse classe”, se lamentait un commerçant. Pour sa part, une étudiante estimait que Magufuli était “un grand leader et une icône pour beaucoup d’entre nous, pas seulement en Tanzanie, mais en Afrique en général, un leader qui nous rappelait beaucoup de combattants de la liberté comme Kwame Nkrumah, Jomo Kenyatta, Patrice Lumumba, Gamal Abdel Nasser”. Et d’ajouter : “Son leadership nous a vraiment aidés à avoir confiance en nous en tant qu’Africains.”

À un moment où certains, pour des raisons obscures, appellent n’importe qui grand homme ou homme d’État, il peut être utile de relire le parcours de Magufuli, de revisiter ce qu’il fit pour son pays et son peuple, de se souvenir de comment il vécut en tant que chef de l’État. Les anciens Grecs avaient leur conception de la grandeur d’un homme. Ils disaient :“Nous avons vécu, nous avons fait, nous avons construit, nous avons élevé l’homme, aussi faible et vulnérable soit-il.” Et Aristote, fils de cette Grèce ancienne, pouvait ajouter que “le grand Homme est nécessairement un homme dont les actions sont bonnes et justes”.

Jean-Claude DJÉRÉKÉ

Sat, 10 Apr 2021 16:37:00 +0200

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