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    La Liberté d'Informer

    LE PROCÈS DE RENAISSANCE ET SES THÈMES (EXTRAIT DE RENAISSANCE ET PROBLÈMES CULTURELS EN AFRIQUE) – Par Pathé DIAGNE

    ByLa Dépêche d'Abidjan

    Avr 11, 2023

    La renaissance noire et africaine s’est exprimée à travers des idées, des théories, des mouvements. Elle a ses labels et ses manifestes. On les décèle dès le début du XIXè siècle en Afrique et hors de l’Afrique. Comme l’écrit Frantz Fanon, les résistances du pouvoir traditionnel et les guerres de libération sont des manifestations de ce processus. Les mouvements pan-nègre, panarabe et panafricain en sont des moments. Les théories de l’African Personality ou de la Négritude, le Consciencisme, l’Authenticité, Wjama, la Rénovation représentent autant de tentatives pour en faire un corps d’idées, une doctrine politique à l’époque des luttes pour l’accession à l’indépendance.

    Comme tout effort d’affirmation des libertés d’un peuple, d’une nation, d’une race ou d’une classe, le mouvement de renaissance s’est cristallisé autour de quelques thèmes.

    Les thèmes permanents sont l’ethnie et la race, comme agents producteurs de cultures.

    Les valeurs de civilisation sont sollicitées pour élaborer un projet d’humanisme, une vision spécifique des rapports de l’homme avec la nature et de ses liens avec autrui.

    De ces thèmes de la renaissance africaine, nous ferons une présentation schématique, en sélectionnant arbitrairement quelques points de repère.

    Il est important, ne serait-ce que du fait des labels auxquels il a donné naissance : Pan-Negro mouvement en Amérique, Cri Nègre et Négritude en Europe. La renaissance africaine a signifié une volonté d’assumer la race, c’est-à-dire une culture propre à une ethnie et le destin de celle- ci. En ce sens, elle se distingue des renaissances européennes, de la Nahda arabe, des Kulturkreise germanique et scandinave. Ces mouvements n’ont pas une connotation pigmentaire aussi accentuée. Ils renouvellent des cultures nationales, les réconcilient avec elles-mêmes, par la récupération de la langue, de l’histoire ou du pouvoir. Le plus souvent ils les remettent à jour par référence à une expérience ou un savoir neuf.

    L’aggiornamento italien est, en ce sens, l’équivalent de la renaissance française, slave ou égyptienne. C’est une rénovation culturelle. Il réassume, de l’intérieur, une culture nationale propre aux masses retardataires ou reléguées jusqu’alors au second plan par une instance socioculturelle étrangère et élitiste. L’italien et le français, comme langues et comme cultures, font surface en lieu et place du latin à la fin du Moyen Age. Le russe et l’arabe s’ajustent aux terminologies scientifiques au xrxe siècle.

    De telles renaissances novatrices eurent lieu dans l’Afrique ancienne et précoloniale. C’est ainsi que Toutankh[amon rétablit le culte des dieux de Thèbes évincés par Akhcnaton et que Sonni Ali remit en honneur la culture sonray au détriment des hégémonies élitistes des ulémas islamisés de Tombouctou au XVI~siècle. Les conflits qui ont secoué l’Afrique au XIX~siècle, opposant en particulier le pouvoir traditionnel, islamisé ou non, et les réformateurs musulmans, ont représenté des renaissances de même nature, qui attestaient des conflits internes de cultures.

    La renaissance africaine ou nègre contemporaine va au-delà d’un simple aggiornamento. Elle vise la conquête des droits politiques, la suppression de l’apartheid et de la discrimination, le droit pour l’Africain d’édifier sa propre culture, de servir sa propre vision du monde. C’est en cela qu’elle est révolution. La renaissance africaine moderne est née du conflit avec une hégémonie coloniale à coloration raciste. Elle est, dès l’origine, une réaction antiraciste, l’acceptation non pas d’un simple destin ethnique et culturel mais de la race comme fardeau historique dans le conflit avec l’autre.

    Le Nègre a, comme l’asiatique et l’Arabe blanc, assumé le préjugé de couleur et le mépris. Il est, du lot, celui qui a subi à travers l’esclavage l’épreuve la plus rude.

    Les renaissances nègres n’envisagent pas la race de la même manière. L’impact des rationalisations touchant l’infériorité supposée du Nègre est faible sur l’esprit d’un précurseur comme E. W. Blyden (1) qui ne leur accorde aucun crédit. À cet égard, Blyden adopte une attitude en tout point semblable à celles des masses et des élites traditionnelles. Le racisme qui aiguise la conscience opprimée du nègre de Peau noire, Masques blancs(2) prend la forme d’une violence politique, d’un système d’exploitation. Il est imposé de l’extérieur par la force. L’idéologie qui sécrète le système est dans sa nature. Il y a de la part du Négro-Africain colonisé une indifférence vis-à-vis de cette spéculation raciste proprement dite qui se cherche des fondements objectifs. Cette attitude tranche sur le comportement profondément traumatisé des minorités noires exilées, asservies ou aliénées par la culture hégémonique européenne. Le paysan congolais, l’aristocrate kayorien ou le marabout toucouleur ne s’interrogent pas sur leur couleur. Elle ne les obsède pas plus qu’elle n’affecte le Kabyle aux yeux bleus exproprié par l’Algérois et le Français.

    L’Africain traditionnel, écarté, par son refus ou par le ghetto où il est réduit, de l’univers et de l’idéologie du colon, n’analyse ni ne discute sa situation dans les termes et selon la rhétorique raciste que l’on veut lui imposer. La domination, l’agression et l’exploitation qu’il subit constituent à ses yeux la réalité première. C’est là ce qui explique la sérénité des nationalistes qui ont précédé et suivi E. W. Blyden(3). Le Mahdi du Soudan, el Aaji Umar, Béhanzin n’engagent pas ; avec le conquérant européen un débat d’ordre racial. Ils perçoivent, comme plus tard Casely Hayf’ord (4) ou Ngalandou Diouf (5) la renaissance africaine en termes politiques, et subsidiairement en termes culturels et raciaux. On peut citer des voix africaines qui suggèrent l’assimilation. La plus notoire, au XIX’ siècle, en Afrique occidentale, est peut-être celle du docteur Boyle Evrton (6). Il est nègre. Il accepte les valeurs occidentales comme celles de l’homme. II juge cependant le Noir apte à se les assimiler. En ce sens, il est le précurseur d’un certain discours de renaissance.

    Le thème des valeurs de civilisation.

    La valorisation culturelIe est l’autre composante des idées qui animent les mouvements et les théories de la renaissance contemporaine. Les nationalismes politico-religieux des réformateurs du XIX~siècle, tels que l’Éthiopianisme (7), le Mahdisme (8), le Mouridisme, ont tenté, comme le Kinbanguisme, d’être des révolutions culturelles. Ils ont cherché à affirmer une certaine spécificité à l’intérieur de l’Islam ou du christianisme, face aux hégémonies qui pouvaient se profiler derrière des constructions à vocation universelle, mais très profondément marquées par leurs origines.

    La revalorisation culturelle signifiera deux faits. D’abord une mise à jour des civilisations dont l’Africain et le Noir sont responsables, mise à jour qui permettra de réfuter l’accusation de «peuples sans histoire », « sans art », « hors de l’histoire ou de la civilisation ». Ensuite, la démonstration de la capacité des éléments de civilisation africaine de donner vie à des cultures spécifiques, dans l’époque actuelle de grande mutation et de crise.

    Le thème de I’histoire est au premier plan.

    Dès le début du XIX~siècle, il constitue une partie importante de la rhétorique des nationalistes de formation européenne.

    E. W. Blyden est, comme on le verra plus loin, frappé et fasciné par le développement des sociétés historiques du Soudan. Il est séduit par les vastes constructions politiques qu’il découvre en Afrique au XIX~ siècle. La compréhension que ce pasteur anglican montre pour l’Islam, dont il étudie la littérature, vient en grande partie du rôle qu’il lui attribue dans le renouvellement des civilisations du Mali, du Sonraï ou du Hausa de Dan Foojo (9).

    Les recherches de Yoro Diaw (10) au Sénégal, Sarbah (1l), Casely Hayford, Aggrey (12), S. Johnson (13) ou N. Azikiwe (14) au Nigeria, L. Dube (l5) en Afrique du Sud, Apolo Kagwa (16) en Afrique orientale se situent dans la même perspelctive. Elles expriment un souci d’affirmation basé sur un passé qui, par ses empires, ses institutions et ses figures épiques, ne le cède en rien à celui du conquérant.

    Dès le XIX~ siècle, E. W. Blyden développe déjà le thème d’une Égypte nègre mère des civilisations. Casely Hayford, admirateur de Blyden, en reprend l’argument dans son ouvrage Ethiopia Unbound. Carter Woodson, historien noir américain et fondateur du Journal Histoire des Noirs, en 1937, expose à nouveau ce thème que l’on trouve en filigrane dans les œuvres de Senghor (17). C’est Ch. Anta Diop (18) qui lui donnera sa formulation la plus impressionnante. On retrouve les mêmes préoccupations chez J. Ki Zerbo (19), E. Mveng (20) l’historien nigérian 0. Dike (21) et le Noir américain Snowden (22). L’importance de l’histoire dans la perception de la renaissance africaine a déterminé la vocation de nombre d’intellectuels africains.

    « Chaque nation construit son futur sur son passé », écrit 0. Dike. Ki Zerbo affirme en 1957, dans un article intitulé « Histoire et conscience ». Dépouillé aussi de son histoire le Nègre est étranger à lui-même, on peut dire qu’il est aliéné et il l’est en effet dans tous les sens du terme. » Ch. Anta Diop écrit de son côté, dans Unité culturelle de l’Afrique noire : « C’est seulement une connaissance réelle du passé qui peut amener dans la conscience le sentiment d’une continuité historique indispensable à la consolidation d’un État multinational. »

    Les analyses de la pensée africaine moderne ont bien mis en évidence cet effort axé sur la valorisation du passé, cette volonté de fonder, sur cette base, des idéologies de reconquête d’identité et d’affirmation d’une capacité établie dans l’histoire de faire l’histoire, d’en être le sujet et non un simple objet.

    1. Wallerstein (23) a expliqué le rôle de contre- argument que l’histoire joue dans l’idéologie coloniale. « La justification idéologique de la supériorité culturelle a été l’un des principaux arguments pour le maintien de la domination coloniale. Le système d’éducation était utilisé pour inculquer cette idéologie à la nouvelle élite. » Il a rappelé, à la suite de Blyden, que « l’histoire écrite pendant la période coloniale est celle de la période coloniale elle-même ». L’histoire contribue à la lutte idéologique et politique. Elle donne aux valeurs « la légitimité d’un passé cohérent. Elle l’authentifie. Elle rassure sur l’avenir ».

    Le thème des valeurs africaines de civilisation est une autre référence. Il est moins sentimental, plus actuel et concret. Il atteste l’effort du colonisé pour se maintenir en équilibre devant les mutations que la conquête et les techniques nouvelles lui imposent.

    L’argument essentiel consistera à soutenir l’adéquation parfaite de l’homme africain avec ses institutions, la valeur de ses lois, de son droit, de ses relations sociales, ou, de manière générale, des rapports qu’il établit avec autrui, avec l’objet ou la nature.

    Dans les pays où le pouvoir traditionnel n’a pas survécu à la conquête, l’élite n’en continue pas moins de valoriser, par la recherche, ses institutions. Yoro Diaw, à la même époque que Blyden, ouvre, avec ses études sur les institutions des peuples sénégambiens, la voie à toute une élite d’expression française. Les œuvres capitales d’A. Hampaté Bâ (24), de Mapaté Diagne, de Boubou Hama (25) d’Hazoumé (26), de Fily Dabo Sisoko (27) en sont des prolongements. Dans les pays d’Afrique du Nord, d’Afrique centrale et orientale, des analyses sérieuses des coutumes et sociétés africaines sont réalisées. L’ouvrage de J. Kenyatta(28) sur les Kikuy paraît quelques années après les travaux remarquables de précurseurs tels que Sarbah ou C. Hayford.

    C’est, du reste, en Afrique occidentale et dans l’école traditionaliste de la Côte-de-l’Or, fortement imprégnée de l’influence de Blyden, que cette recherche, motivée par des applications pratiques, sera poussée le plus loin.

    John Mensah Sarbah (1864- 1910), avocat, publie en 1904 Fanti Customarj’ Laws et en 1946 Fanti National Constitution. Casely Hayford écrit Gold Coast Native Institution, en 1903, quelques années avant Ethiopia Unhound : Studies in race emancipation (London, Marwell,1903) et The Truth ahout the West African Land Question. J. B. Danquah, plus jeune, publie en 1928 Akan Laws and Customs and the t3lkim Abuakwa Constitution. Samuel Johnson, mort en 1909, laisse sur le Nigeria dont il est originaire une œuvre intitulée The Historj* of the Yoruba, qui sera éditée en 1933 par 0. Johnson.

    Ces travaux sur les institutions et les valeurs de civilisation sont des œuvres polémiques. Elles argumentent sur trois plans.

    Les institutions africaines, affirment leurs auteurs, sont aussi dignes d’intérêt scientifique que celles des autres peuples. Ils suggèrent même parfois qu’elles sont supérieures a leurs homo- logues. Athènes et Rome, mères des civilisations occidentales, sont leurs cibles préférées, quand ce ne sont pas les métropoles coloniales elles- mêmes: la Grande-Bretagne ou la France en l’occurrence.

    « Les Romains dont les pratiques mi-civilisées, mi-primitives, écrit Dunquah, sont mieux connues du monde civilisé d’aujourd’hui a cause de la chance qu’elles ont eue d’utiliser la merveille qu’est l’écriture, ont appliqué une procédure légale coutumière qui recouvre pour l’essentiel la procédure Akan… » John Sarbah, à propos de l’institution Fanti, déclare : « J’ai découvert qu’un système complet de lois liées à la fois à la terre et à la propriété personnelle a existé parmi eux (les Fanti) et qu’il s’est transmis de temps immémorial par tradition. Il est plus adapté que notre législation moderne, féodale, sophistiquée et compliquée, fondée sur la propriété réelle et personnelle. Les indigènes de l’Afrique occidentale ont un système de lois et de coutumes qu’il serait préférable d’orienter, de modifier et d’améliorer, plutôt que de détruire par des ordonnances. » On a, dès les années 1900, une réaction de même nature dans les comptoirs français. Carpot, député du Sénégal, exprime le souci de ses électeurs musulmans de conserver un statut juridique propre, en même temps que leur droit électoral. Lamine Guèye, qui appartient à une génération un peu plus jeune que celle de Sarbah, fonde sa réputation sur la défense des droits lébous sur les terres du Cap-Vert.

    Pour Sarbah, l’institution africaine est meilleure, “plus en accord, comme le suggère le chancelier Campbell, avec la justice naturelle, l’équité et la conscience que la loi anglaise”.

    L’institution économique elle-même fait l’objet d’une défense contre les mutations introduites par le monde capitaliste. L’intellectuel africain explique que la logique qui sous-tend son ordre économique est parfaitement rationnelle. Il ne s’identifie pas aux règles qui régissent les rapports entre les agents économiques du modèle européen, dont les concepts sont adoptés sans ajustement pour l’analyse de l’économie africaine pré-coloniale. Les perspectives des sociétés africaines ne sont pas celles du capitalisme européen, explique-t-on. L’économie africaine, essentiellement d’autoproduction, est moins émiettée, plus liée aux autres structures de la vie telles que la religion, l’éthique, la politique ou l’ontologie. L’analyse européenne, scientiste, positiviste ou marxiste a tendance à ramener les formations sociales africaines aux processus d’évolution indo-européens. Or la propriété, comme institution et concept, ne joue pas dans l’économie et la formation des classes de l’État africain traditionnel le même rôle que dans le modèle indo-européen, que Marx et ses successeurs, surtout, ont cru a tort universel.

    La spécifïcité de la logique interne de l’institution économique africaine, son caractère auto- producteur (29), la faiblesse relative qu’y revêt le travail aliéné, sa réalité collectiviste, ont mené à des conclusions souvent audacieuses. Certains analystes ont soutenu, par exemple, que l’expérience africaine a donné naissance à un modèle semblable à ceux dont le socialisme européen se fait l’écho depuis le siècle dernier. Bien avant, que Nkrumah, Sékou Touré, Senghor ou Nyéréré découvrent la « communaucratie » africaine ou les « socialismes africains » d’avant Marx, Casely Hayford affirmait tranquillement : « Nous avons, dans le système familial des Fanti et des Ashanti, la solution à tous les maux que le socialisme contemporain cherche à résoudre. »

    La valorisation de l’art et de la littérature est le thème majeur des générations des années vingt et trente, contemporaines du Negro renascent, de Cri nègre ou de Négritude. On y reviendra par conséquent plus loin. Ce thème est encore marginal au début du siècle, alors que l’art nègre n’a pas encore atteint la notoriété mondiale. Les littératures africaines d’expression étrangère n’existent pas encore. Thomas Mafolo, écrivain bantu d’expression Xosa, auteur de Chaka, est à peu près le seul grand nom connu avant 1930.

    L’éducation, pierre angulaire de toute œuvre de renaissance, est cependant, dès cette période, au centre des préoccupations. L’élite traditionnelle des comptoirs et de l’intérieur, ouverte aux langues, aux cultures et aux avoirs neufs venant de l’extérieur, s’y intéresse. Elle comprend l’importance capitale d’un système éducatif réajusté, fondé sur des outils, des contenus linguistiques et culturels proprement africains. Les initiatives prises constitutionnellement par les Fanti et les Ashanti en Côte-de-l’Or au milieu du XIX~siècle joueront un grand rôle dans la recherche d’une École africaine. Ce n’est pas un hasard si c’est ce pays qui produit en K. Aggrey un des premiers grands spécialistes africains de l’éducation. L’Éthiopie de Ménélik II comme l’Égypte de la Nahda s’engageront dans la même voie. Le Liberia et la Sierra Leone créeront des instituts d’enseignement supérieur dès les années 1850. Très tôt, l’opposition se manifestera, comme plus tard sous le régime colonial, entre les tenants d’un nationalisme culturel soucieux d’assumer l’intégrité de la tradition, comme E. W. Blyden, les partisans de l’assimilation pure à la tradition linguistique et culturelle européenne, comme le docteur Africanus Boyle Horton de la Sierra Leone, et les acculturalistes qui chercheront à accommoder la différence, la personnalité, la négritude ou l’africanité au français, à l’anglais ou au portugais.

    Ce débat sur l’instance socioculturelle, éducative et politico-économique est posé en termes clairs dès le XIX~siècle. Il reste, comme on le verra plus loin, une des clefs de l’évolution contemporaine.

    Le contenu de la pensée est également étudié, dans la perspective d’une éducation africaine. On s’interroge sur les valeurs morales et philosophiques, sur le contenu religieux de la pensée africaine. On Sonde la portée scientifique ou moderne de celle-ci, sa valeur épistémologique, par rapport aux démarches de l’Européen. Ce genre d’interrogation est en filigrane dans les préoccupations des précurseurs de la renaissance africaine. L’européanisation de plus en plus poussée laissera cependant assez longtemps en veilleuse ce champ d’investigation. Frobenius délimite des aires et des formes de civilisation. Marcel Griaule et son école, le Rwandais Alexis Kagamé ou le père Tempels opèrent dans les mêmes perspectives. On interroge et on interprète la pensée du Négro-Africain. On tente de mettre à jour des systèmes religieux, philosophiques, épistémologiques ou logiques.

    Les résultats de ces recherches prêteront souvent à controverse. Leur portée restera limitée du fait des partis pris inévitables de leurs auteurs, en dépit même de l’approche favorable qu’ils adoptent. L’impact de l’islam et du christianisme, celui de la philosophie occidentale sur ces recherches en faussent les perspectives.

    L’élite moderniste africaine n’accomplit pas dans ce domaine le même effort que celui qu’elle déploie pour valoriser l’histoire et les œuvres artistiques ou littéraires d’Afrique. Il faudra attendre 1968 pour voir se tenir le premier colloque sur les religions traditionnelles, à l’initiative de A. Diop. L’analyse de la pensée négro-africaine, comme contenu éthique ou philosophique, comme savoir constitué, aura été accidentelle. En Afrique centrale, où elle est très poussée, elle est le fait de l’Église ou des anthropologues étrangers. Ils découvrent et expliquent, souvent en fonction de leurs préoccupations, un domaine encore vital et essentiel à l’équilibre du peuple, mais qui sensibilise moins l’intellectuel européanisé. Les analyses de Ch. Anta Diop, Hampaté Bâ, Boubou Hama, A. Kagamé, L. Senghor, J. Mbiti, pourtant très importantes, restent négligées. On continue à s’interroger sur « l’existence d’une pensée ou d’une philosophie africaine ». L’intellectuel afri- cain contemporain s’évertuera surtout à prouver sa capacité de digérer la science ou une modernité mise généralement au compte de l’Européen, qu’il faut égaler pour « réussir ».

    Ainsi, les formes revêtues par la renaissance ont été la conséquence de structures politiques hégémoniques, inscrites dans la colonisation et le racisme institutionnalisé. Au plan de la valorisation culturelle, la renaissance aura traditionnellement sélectionné et privilégié certains secteurs. La race ou l’ethnie, l’histoire et les libertés politiques apparaissent, dès le début, comme des constantes. L’apport littéraire et artistique, plus tardif, est lié, avec l’avènement du masque dans l’art occidental, à l’engouement de l’Européen pour la musique et la chorégraphie nègres. L’émergence de poètes puis de romanciers d’expression occidentale constituera l’aboutissement logique d’une certaine époque.

    Il y a une progression dans l’apparition des thèmes, une succession historique dont chaque séquence semble rapporter une dimension nouvelle à l’affirmation culturelle. Les rôles que jouent les différents thèmes et cet ordre de succession ne sont pas arbitraires. Ils reflètent des réactions. Le racisme suscite le thème racial, le sens de l’oppression politique la volonté de situer le conflit sur ce terrain. L’accusation de peuples non prométhéens, a-historiques, lancée contre les Africains appelle la démonstration du projet historique africain, de l’être noir sujet de l’histoire. Le qualificatif de « primitif» contraindra à exceller dans les arts les plus sophistiqués de l’Occident : poésie, roman, musique « classique », chorégraphie. Ceux d’ « irrationnel » ou de « prélogique »susciteront le goût pour la spéculation abstraite. Le mythe du diplôme et des distinctions académiques créera très tôt un culte, encore renforcé par les possibilités qu’ils offrent dans le système.

    L’élite confrontée à l’hégémonie européenne réduit peu à peu ses obsessions au Blanc et a l’Européen. Elle ramène le monde, par nécessité, à ce conflit du Blanc et du Noir, à leur dialogue. L’Asiatique disparaîtra longtemps de son champ, jusqu’à Bandoung. 11 ne prend parfois forme, avec le reste du monde, que dans la vision des marxistes ou des syndicats, sollicités, par leur idéologie, à voir au-delà de l’apparence de la couleur.

    C’est une erreur commune aux historiens de la renaissance africaine que de présenter ses mouvements et sespenseurs dans une perspec- tive linéaire. Cette approche fausse le contour d’une évolution plus complexe. Le fait que les labels et concepts qui désignent les mouvements aient recouvert des tendances diverses joue pour beaucoup dans la confusion. Ces réductions sont parfois assezgraves.

    Il serait plus judicieux d’analyser les thèmes, les contenus et les significations des contribu- tions des divers mouvements et des différents penseurs, pour apprécier leur portée, le sens véritable de leur action et de leurs œuvres à l’intérieur des séquences historiques où ils appa- raissent. Blyden, Sarbah, Garvey, Dubois, Césaire, Nkrumah, Senghor, Azikiwe, Leroy- Jones, Ch. Anta Diop, Fanon ou Cabra1 attestent des influences réciproques, et souvent de simples convergences. Leurs discours se recoupent parfois, mais ils peuvent à l’occasion s’opposer de manière irréductible sur la même réalité. Il en est de même des mouvements. Ils reflètent des refus et des acceptations. Le pan-négrisme comme valorisation et théorisation de l’élément racial est une dimension dont l’impor- tance varie de Blyden à Senghor, de Dubois à Nkrumah ou à Sékou Touré. Le panafricanisme au sens étroit, conçu comme perspective continentaliste, se dépouille, en se politisant, de sa connotation purement raciale. Le concept de personnalité africaine évolue au contact des idéologies et des réalités de l’Afrique militante et multiraciale de l’époque coloniale, des indépendances ou de l’OUA.

    Source : unesdoc.unesco.org

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