CULTURE – UN FRANÇAIS PEUT-IL APPORTER UNE CRÈME D’AUTHENTICITÉ À LA CULTURE AFRICAINE?

« Nul n’est jamais devenu célèbre par imitation », dit l’une des citations de l’écrivain anglais Samuel Johnson. Mais que l’on soit un simple citoyen, ou un artiste, tous les deux originaires d’Afrique, le goût de l’imitation du blanc nous prend jusqu’aux tripes. Nous refusons d’être originaux. Pour nous, la renommée de l’africain n’est totale ou parfaite qu’avec un nom des blancs. C’est une condamnation personnelle à laquelle nous ne pouvons nous soustraire. Sur ce point, nous ne regardons pas plus loin que le bout de notre nez.

J’ai tiqué en lisant quelque part les paroles de « Pierre Loti », un artiste chanteur français( ?), qui promet d’apporter à sa soirée du 22 décembre prochain, « une crème d’authenticité à la culture africaine ». On pourrait d’emblée dire que c’est possible, puisqu’il peut utiliser des artistes africains pour l’aider à sa tâche. Mais heureusement, ce n’est même pas le cas. L’artiste est plutôt un ivoirien et surtout un Bété. Il a seulement pris le nom de l’écrivain français Pierre Loti. C’est le Loti de la chanson Bété.

Voilà le genre de fascination qui nous fait paraître ridicules sans que nous ne nous en rendions compte. Juste parce que personne n’ose nous le dire en face. Pourtant nous avons besoin d’éveiller notre conscience sur notre acculturation. Elle ne pourra jamais nous faire devenir de bons exemples pour nos plus jeunes concitoyens. L’artiste c’est celui qui s’efforce de s’imprégner de sa culture plus que quiconque. Il l’exprime dans toutes ses prestations, son comportement social, sa manière de penser, afin d’amener les autres membres de sa société à aimer aussi cette culture. C’est un phare, une lumière.

Le Bété, comme toutes les autres langues de Côte d’Ivoire, est riche en vocabulaire, en expressions imagées appelées figures de styles ou de rhétorique, en proverbes… Pourquoi ne pas prouver cette richesse culturelle en y puisant un nom ? Pourquoi ne pas emprunter aussi ce nom à l’une des ethnies de la Côte d’Ivoire ? Sommes-nous vraiment obligés de ressembler à nos maîtres ? Un chanteur africain ne peut-il pas percer sans un nom étranger ? Padaud, Pablo, Djimi, Ernesto, Amédée, Dikaël, Arafat, Pierre Loti… « C’est quoi, tout ça là ? » dirions-nous dans notre français de Côte d’Ivoire, le seul à ne pas ressembler au français de France. Si nous ne mentionnons pas bien sûr celui des parigots ivoiriens, plus rouleurs des « R » que les français eux-mêmes.

Daublay ou Daublé, Habiali, Zoma, Monali, Zouzou… Comme l’a fait Béni Bézi si c’est vraiment le nom qui se vend et non l’art. Dans ce cas le nom propre africain de l’artiste peut émerger et demeurer dans les esprits et les cœurs, s’il est talentueux. Arrêtons d’être ridicules. Oui, arrêtons, ça fait honte.

J’aurais voulu être à Paris le 22 décembre prochain pour voir comment ce Pierre Loti écrira ses romans Bété en chansons ou chantera ses chansons Bété en français. Mais surtout pour voir comment un français peut apporter une crème d’authenticité à la culture africaine. Bonne chance, Pierre Loti. Sois plus célèbre que ton idole française, l’écrivain. Prions seulement que tu n’aies pas honte dans le futur, d’avoir fait la promotion d’un nom déjà célèbre alors que le tien propre pouvait le devenir. Malheureusement cette idée ne nous vient jamais dans la tête. Nous sommes des maudits. Les blancs sont trop forts !

Nohoré Gbodiallo Guikou Bilet Zafla

likaneyb2@hotmail.com

Sun, 16 Dec 2012 13:37:00 +0100

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