Les « adultères » de la France en Afrique : Un appel aux peuples français et africain

Comme la plupart d’entre vous, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’article du journaliste français Arsène Lepigeon intitulé « les adultères d’ATT » paru dans le quotidien malien l’Indépendant le 18 octobre 2006. J’ai aussi suivi avec attention toute la valse qui s’en est suivie.
En tant que jeune africain, et de surcroit citoyen malien, je n’ai pu me retenir de réagir à cet article si minutieusement préparé et qui, encore une fois, exprime avec éloquence les violations de la conscience des Africains par la Françafrique. Ces journalistes de la « France-à-Fric » – comme aimait l’appeler le très respectable et feu François-Xavier Verschave – n’hésitent pas, encore une fois, à bafouer la dignité de l’homme africain, toujours avec une malice pleine d’hypocrisies. Encore une fois, on se permet de jouer avec la souveraineté du peuple malien. Encore une fois, on essaie de légitimer les intrusions de la France dans les affaires africaines.

Mais chers compatriotes, chers africains, chers français, après un demi-siècle de politique paternaliste de la France à l’égard de l’Afrique, nous nous devons, en tant que jeunes générations, de nous interroger sur le bilan macabre et désastreux de ces ingérences sur le sol africain et de voir autrement l’avenir. Nous ne devons plus accepter que l’histoire se répète. Nous devons plus que jamais nous ressaisir. Plus que jamais, nous devrons être capable de comprendre et décrypter le message parfois codé de ces faux « amis » de l’Afrique. Ceci est notre devoir de génération et on ne saurait trahir cette mission.

De la crise ivoirienne :

Puisque c’est de cela qu’il s’agit, je vais essayer d’en faire une lecture succincte sur les principaux responsables de cette crise, pour tenter de répondre à Monsieur Lepigeon lorsqu’il accuse Gbagbo d’être à l’origine des persécutions et massacres de la population malienne vivant en Côte d’Ivoire.

Oui, c’est vrai, le régime Gbagbo endosse une lourde responsabilité dans les meurtres subis pas les Maliens de Côte d’Ivoire.

Mais après une analyse rétrospective de la situation, on se rend compte que la haine et la xénophobie dont sont victimes aujourd’hui les populations étrangères en Côte d’Ivoire sont l’œuvre commune des trois grands protagonistes de cette crise.

Le premier en date, Monsieur Alassane Dramane Ouattara. N’a-t-il pas été le premier à établir une différence entre les ivoiriens en introduisant la carte de séjour lorsqu’il était Premier ministre ? Ce geste, au-delà de son aspect économique revendiqué par l’ancien Premier ministre, a institutionnalisé puis légitimé la discrimination fondée sur l’origine géographique. Cette discrimination géographique sera reprise, instrumentalisée et nourrie par le futur Président Henri Konan Bédié, et se traduira dans une dimension ethnique, voire religieuse avec le concept de « l’ivoirité » alors bien à la mode.

Par la suite, pendant et après le pouvoir militaire du Général Robert Gueï, beaucoup d’hommes politiques ivoiriens se donnent le loisir de se servir de ce terreau de la xénophobie pour se faire une place au soleil. Monsieur Gbagbo n’a pas fait exception.

Cependant, il faut noter qu’une fois aux affaires, l’homme a entrepris de panser la plaie. Ainsi deux des plus grandes institutions de la République de Côte d’Ivoire sont tenues par des ressortissants nordistes depuis l’avènement de Monsieur Gbagbo au pouvoir, et cela bien avant le déclenchement de la crise en septembre 2002. Il s’agit de Messieurs Mamadou Coulibaly et Laurent Dona Fologo respectivement à la tête de l’Assemblée nationale et du Conseil Economique et Social. De même, dans ses différents gouvernements jusqu’à celui du 05 août 2002 (donc seulement un mois avant la rébellion) nous pouvons voir constamment un nordiste assumer le rôle de deuxième personnalité du Gouvernement en tant que Ministre d’Etat au nom de Monsieur Aboudramane Sangaré. Et en me livrant à un petit exercice arithmétique, je n’ai dénombré moins de six nordistes dans un gouvernement de Monsieur Gbagbo.

De ce fait, je considère qu’aucun de ces responsables politiques ivoirien n’est bien placé pour se réclamer être le sauveur des Maliens de Côte d’Ivoire. Car ces derniers souffrent aujourd’hui des pièges que chacun d’eux à contribuer à tendre.

Maintenant, la question qui se pose est celle du sort des Maliens en Côte d’Ivoire. Au moment du déclenchement de la crise, la France comptait 16 000 ressortissants en Côte d’Ivoire. Mais, le Mali y avait au moins 2,6 millions d’âmes dans ce pays. Soit plus de 20% de la population totale du Mali ! Deux poids, deux mesures.

A cet égard, si la Côte d’Ivoire constitue un enjeu économique pour la France, il s’agit d’une question de survie pour le Mali.

Si la France peut se permettre d’attaquer l’armée ivoirienne en bombardant ses hélicoptères sans être menacée d’être atteinte sur son propre sol, le Mali, au-delà de toute question de moyens, ne peut et ne doit déclencher une guerre avec ce pays frère et qui risque d’embraser toute la sous-région. Tous les ingrédients sont en effet aujourd’hui réunis pour que l’Afrique de l’Ouest aille dans la spirale de la guerre ivoirienne. Il suffit d’une toute petite goutte d’eau pour sonner le glas. Le Mali ne doit pas porter une telle responsabilité.

Le Mali a bien d’autres impératifs parmi lesquels : la lutte contre la faim et la malnutrition, l’éducation et l’emploi de ses enfants, l’amélioration des conditions de vie de ses citoyens ; bref, le combat pour le développement économique et social du pays. Ces objectifs qui sont autant un droit légitime du peuple malien ne doivent être transgressés pour aucune considération politicienne, ni par aucune lutte de leadership destinées à servir des causes personnelles. Ceci étant, les autorités maliennes n’ont pas le droit de tergiverser avec Abidjan sur le sort de leurs ressortissants.

Je n’ai nullement ici l’intention de soutenir qui que ce soit. Mon action s’inscrit dans le strict cadre d’un certain nombre de principes.

Qu’il y ait eu ou pas de prétendus calculs politiques, voire électoralistes derrière l’attitude du Président de la République souveraine du Mali ne m’intéresse point. Ce qui m’importe, c’est l’intérêt du peuple malien de l’intérieur comme de l’extérieur du pays, notamment en Côte d’Ivoire.

Trahir la France ? J’estime que ce qui doit guider l’action de tout dirigeant souverain, c’est l’intérêt supérieur de son peuple, et non une quelconque complaisance vis-à-vis de qui que ce soit. Le Général de Gaule ne répétait-il pas qu’un pays n’avait pas d’amis, mais des intérêts ?

Certains ont encore du mal à réaliser que les choses évoluent et que l’Afrique change. Ils doivent comprendre qu’ils ne traitent plus seulement avec cette Afrique béni-oui-oui prête à servir son maître en toute circonstance. Mais que de nouvelles mentalités émergent et que les rapports entre la France et l’Afrique doivent évoluer.

Après tout, si ce journaliste se souciait tant de l’intérêt de l’Afrique, pourquoi ne l’entend-on pas lors des nombreuses bavures de la France en Afrique ?

Il ose évoquer le cas du Togo dans son article. Mais est-ce ATT qui a soutenu contre vents et marrées, contre la volonté du peuple togolais Gnassingbé fils ? On se souvient encore des tripatouillages de la constitution togolaise sous l’œil bienveillant de la France au lendemain de la mort du Président Eyadema. Où avait-il laissé sa plume alors ? De grâce, qu’on épargne les autres des responsabilités qu’on doit endosser.

Accuser le Président malien de fornication sous prétexte qu’il ne se plie pas aux ordres de la France c’est manquer de respect au peuple malien qui l’a élu.

Considérer que le Président ATT est un traitre à chaque fois qu’il ne partage pas la même vision que la France constitue une atteinte grave au principe fondamental du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et menace sérieusement la souveraineté du Mali.

Jamais la grande patrie tant chantée des droits de l’homme ne saurait tolérer cela.

Les revirements et les revers de la Françafrique

Une Françafrique en mal face aux pressions de plus en plus forte de la nouvelle intelligentsia africaine et du peuple vigilant et démocrate de France se devait de changer de méthode, de politique. Cela, après les nombreuses occasions où elle a montré ses limites, voire ses tares sur le continent africain.

Mais, nous constatons avec regret qu’au lieu de procéder à une révision complète de ses rapports à l’Afrique pour établir un partenariat positif guidé par le principe du gagnant-gagnant dans un contexte mondial de globalisation, elle se rechigne à poursuivre les mêmes objectifs aussi fétides que caduques. Seulement cette fois-ci avec un léger changement de tactique.

Le peuple africain qui a toujours été souillé des conséquences calamiteuses de ces politiques est désormais invité dans le jeu pour participer à son autodestruction. En effet, les maîtres de la Françafrique, après avoir conduit une politique d’une fâcheuse complicité avec les dictateurs les plus sanguinaires du continent et les nababs sans vergogne au détriment du peuple déjà avili et asservi d’Afrique, mène aujourd’hui son offensive sur un double front : les dirigeants africains et le peuple. Lorsque ça ne marche pas avec les premiers, on essaie, même s’il faut beaucoup d’audace, avec les seconds. Et cela, afin de donner une touche « légale » à la chose. Démocratie oblige.

C’est ainsi que nous n’avons nullement été surpris de voir cet article se tourner vers le peuple malien que l’auteur veut prendre en témoin dans un dossier qu’il reconnaît lui-même être ficelé par les autorités françaises.

Mais, ce que les auteurs de cette manie doivent comprendre, c’est que le peuple malien n’est pas dupe. Oui, le Mali est un Grand Peuple. Oui le Mali est un pays adulte. Aujourd’hui, la jeunesse africaine ne demande qu’une chose : que l’on laisse l’Afrique gérer ses affaires.

Et, nous avons besoin du peuple combattant et démocrate de France pour atteindre cet objectif. Cinquante ans de politique française en Afrique n’a légué qu’un tableau lugubre, aussi désolant que pathétique.

Faites confiance à l’Afrique. Même si votre enfant peut vous paraître jeune à 50 ans, il faut tout de même comprendre qu’il n’est plus un mineur et qu’il ne doit plus être traité comme tel.

Et si la France s’était toujours trompée de combat ?

L’Afrique constitue la plus grande, voire unique zone d’influence à la fois culturelle et politique de France.

Je ne crois pas que le tableau d’une Afrique ensanglantée, dévastée, démunie et affaiblie renforce la France sur la scène mondiale, pas plus qu’il ne l’honore. Dans une économie en mondialisation et en profonde mutation, les échanges demeurent plus aisés à l’intérieur des grandes sphères culturelles. L’Afrique et la France ont eu un passé indéniable qui s’est traduit par l’expansion du français dans une grande partie de l’Afrique. Ce fruit linguistique est un bien commun charitable. Mais je suis convaincu que la France aurait plus à gagner avec une Afrique plus forte et paisible. Ces deux peuples peuvent réussir ensemble. Elle ne doit pas voir en Afrique un adversaire frileux, mais un partenaire efficace. Et, il en va de sa crédibilité sur la scène internationale.

Pour ma part, j’estime que le dossier ivoirien est très délicat et qu’il faut beaucoup de vigilance, de mesure et de clairvoyance dans son traitement afin d’y trouver un heureux dénouement. Nos autorités, me semble-t-il, sont, dans cette tâche difficile de quête de solution et surtout de préservation de l’intérêt supérieur du peuple malien, tiraillés à la fois par le camp présidentiel ivoirien et les autorités françaises.

Elles ne doivent céder ni aux chantages des uns, ni aux manipulations des autres. Plus que jamais, elles ont besoin de notre soutien afin de les réconforter dans leur action. Plus que jamais, l’Afrique a besoin de soutien pour éviter que de telles situations ne se reproduisent.

Par ailleurs, le combat pour une « immigration choisie » doit-il pas aussi passer par un libre choix des décisions africaines par les Africains ?

Daouda COULIBALY

Doctorant à Paris, France

Wed, 04 Apr 2012 13:21:00 +0200

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