Mel Eg Theodore, pdt Udcy, en exil à propos du dialogue avec le pouvoir : «Acceptons de redresser le pays ensemble…»

Le président Alassane Ouattara a effectué une visite d’Etat en France les 25 et 28 janvier derniers; quel sens donnez-vous à un tel déplacement pour la Côte d’Ivoire ?

Merci de me donner l’occasion de m’adresser aux Ivoiriens. Je voudrais m’incliner respectueusement devant les dépouilles des derniers évènements survenus lors du meeting du Fpi à Yopougon. Pour répondre à votre question, je dirais que sur le fond le président de la République renoue avec une diplomatie active pour repositionner la Côte d’Ivoire et nous lui en savons gré. Mais le choix de la France, s’il est symbolique de relations anciennes depuis le président Houphouet-Boigny, n’en reste pas moins controversé à bien d’égards. J’observe qu’il est depuis, le second président ivoirien à effectuer une visite d’Etat en France.

Quels sont vos attentes par rapport à cette visite?

Nous avions besoin de normalisation avec la France, c’est-à-dire de faire la paix. Car, notre contentieux avec ce pays est lourd. Depuis les tristes évènements de 2004, nous avons beaucoup de comptes à régler, nous devons faire la lumière sur tout ce qui s’est passé et rétablir les responsabilités. Ceci ne peut se faire que dans un climat apaisé et détendu car sur les braises, rien de bon ne peut se faire. J’espère donc qu’au-delà de la cordialité, le cri du peuple de Côte d’Ivoire qui réclame encore justice, sera entendu.

Le vice-président de l’Udcy, votre parti, était à la cérémonie de vœux du nouvel an au président de la République. De quoi procède cette démarche venant d’un leader politique en exil? Faut-il penser que vous négociez encore votre retour au bercail?

Je ne négocie rien puisqu’à tout moment je peux rentrer chez moi. Cette démarche procède plutôt de l’esprit républicain et du respect des autorités qui ont en charge les institutions du pays. Nous avons été invités, nous avons répondu. Cela n’enlève rien au sens de notre combat. Bien au contraire, si nous appelons à un dialogue républicain, nous devons commencer par les premiers pas qui brisent les murs de méfiance. Nous nous connaissons tous dans ce pays, donc notre objectif est de contribuer au bien-être des populations par la restauration et la renaissance d’un Etat meurtri par des années de conflit. Même la France et l’Allemagne qui étaient des ennemis séculaires sont aujourd’hui les co-leaders de l’Union européenne. Nous devons accepter de nous asseoir et de redresser ce pays ensemble. Et c’est à petits pas que nous y parviendrons.

Pourquoi votre retour tarde-t-il à se concrétiser?

Je rentrerais bientôt. Mais avant, je dois me trouver une maison, y faire des travaux. Je ne peux pas venir chez moi et me retrouver à l’hôtel (rires). Mon domicile a été pillé. Il n’y reste que des murs et les déprédations sont énormes. Dès que ces conditions personnelles seront réunies, je rentrerais, même si je n’y ai plus d’amis.

Ah bon, vous n’avez plus d’amis ici?

Vous savez, les amis on les compte sur le bout des doigts lorsqu’on traverse le désert. Souvent ceux que vous croyez être des frères donc capables de faire fi de vos défauts, vous tournent le dos et deviennent les pires des détracteurs, pour justifier leurs nouvelles amitiés.

Quels sont vos rapports avec les partisans de l’ancien président Laurent Gbagbo, au Ghana ? Etes-vous aussi réfugié dans ce pays?

Je ne suis pas et je n’ai jamais été au Ghana. J’ai déjà dit qu’il ne faut pas renier ses amis, c’est une ligne de conduite dans ma vie. Je vous rappelle que j’ai quitté le gouvernement après les élections auxquelles j’ai pris une part active. J’ai été comme bien d’autres Ivoiriens, victime de la crise post-électorale et je m’attache à recoller les morceaux. Je n’ai aucun contact avec les autres exilés à l’exception des ministres Appia Kabran, Lagou Henriette et, à Abidjan, Coulibaly Gervais, avec lesquels nous avons décidé de former un nouveau courant politique.

Dans quel pays êtes-vous alors?

Je vis aux Etats-Unis où je suis non pas refugié politique mais résident légal. Je rends grâce à Dieu pour cette bénédiction. Mais mon pays me manque et je vous promets d’y retourner bientôt.

L’Udcy est membre de la Ligue des mouvements pour le progrès; à quoi répond cette adhésion à un mouvement vu par le Cnrd comme une "mise à l’écart" des membres du camp Gbagbo?

Le Cnrd est une coalition de mouvements politiques, de syndicats et de diverses associations de la société civile. Il est clair que nous y demeurons et ce n’est pas une mise à l’écart. Mais nous avons des problèmes spécifiques en tant que partis politiques et des actions qui ne sont pas forcément dans la ligne des autres membres de ce groupement. Nous sommes désormais un groupement politique qui peut différer dans l’approche et les prises de position. Notre objectif à la Ligue des mouvements pour le progrès, reste le combat pour la restauration de la justice et de l’équité, de la sécurité et du progrès pour les populations.

La Ligue serait en discussions avec le pouvoir en vue de sa participation à la vie politique du pays. Mel Eg Théodore ou son parti est-il prêt à prendre place dans un gouvernement Ouattara, par exemple?

Nous n’avons jamais été approchés pour une telle démarche. J’ai déjà, par le passé, renoncé à des portefeuilles ministériels pour aller à la paix et je demeure dans cette logique. Nous ne sommes pas un mouvement hermétique, nous voulons, je le répète, œuvrer pour la renaissance, la restauration et la réconciliation. Tels sont les maîtres-mots de la nouvelle page que nous voulons écrire avec le peuple de Côte d’Ivoire, chacun avec sa sensibilité et dans le respect de l’autre, sans violence. Notre opposition n’est pas le culte du radicalisme, du tout ou rien. Cependant, quel que soient nos agendas politiques, le respect des droits de l’Homme, la sécurité des biens et des personnes, la réparation des torts, l’équité dans le traitement de tous les Ivoiriens, la libération et la réhabilitation des détenus politiques sont une réponse d’apaisement et de confiance que le pouvoir devrait donner à la classe politique et aux Ivoiriens.

Des partisans de Laurent Gbagbo estiment qu’il faut juger le régime Ouattara aux faits au lieu d’entrer au gouvernement. Votre commentaire?

C’est un point de vue que je respecte.

La direction du Cnrd a été restructurée; le président du Rpp, Laurent Dona Fologo, en est le vice-président avec ”tous les pouvoirs ”. Comment réagissez-vous à cette mue et à la montée en puissance d’un homme dit modéré à la tête du Cnrd?

Le président Fologo est un grand homme politique de ce pays, il a de l’expérience et beaucoup d’entregent. Il donnera un nouveau souffle pour autant qu’il ne perde pas de vue qu’il s’est fondu dans une dynamique de gauche. Mais il saura gérer les humeurs et les antagonismes.

Interview réalisée par Bidi Ignace in Nord Sud

Sat, 04 Feb 2012 02:47:00 +0100

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