Scandale au Hadj 2012: L’Ambassadeur fait don à la Présidence avec 125 millions Fcfa détournés…

Quarante-deux pauvres candidats au pèlerinage vont finir par croire que la pauvreté est un châtiment. Ils croyaient qu’après plusieurs années de jeûne, Allah avait enfin pris en compte leur pénitence. Parce qu’il y a seulement quelques heures, ils pensaient pouvoir enfin réaliser ce pilier essentiel de leur religion qui n’est autre que le pèlerinage à la Mecque. Mais c’était sans compter avec la volonté de plaire à tous prix à Ouattara, de l’Ambassadeur de Côte d’Ivoire en Arabie Saoudite. Petite incursion au coeur d’un scandale qui provoque la colère de quarante-deux pères et mères de famille.
Le cirque est le même chaque année. Pas de pèlerinage sans bruits. Entre détournements de fonds et escroqueries, les candidats en bavent à chaque édition. Et dans cet environnement impitoyable, les pauvres ne se font aucune illusion. Impossible pour eux de trouver plus d’un million pour faire le pèlerinage. Et confient chaque fois leur sort à l’Éternel. Lequel touche parfois le coeur de personnes de bonne volonté qui aident les désespérés à s’envoler vers l’Arabie Saoudite.

La lettre de l’Ambassade de Côte d’Ivoire en Arabie Saoudite à Kablan et à Hamed Bakayoko, après avoir reçu les précision sur la gestion des fonds de l’Emir du Qatar
Et c’est ce qu’a voulu faire dame A. A.A., de nationalité ivoiro-libanaise, (conseillère spéciale de chefs d’Etat africains) installée depuis de longues années en Arabie Saoudite et qui a des relations au plus haut sommet avec des dirigeants de grands pays arabes. Jouant sur ces relations, elle a obtenu, par une providence exceptionnelle, de son Altesse El Cheick Hamad Ben Khalifa Al-Thani, l’Emir du Qatar (le monumental) la coquette somme de 192.066 euros (environ 125 millions de FCFA). C’est qu’elle a convaincu le riche homme du désespoir de certains musulmans ivoiriens, devant l’impossibilité pour eux d’effectuer le Hadj, faute de moyens.

Le courrier de Kablan Duncan à Hamed Bakayoko, toujours au sujet de la gestion des fonds au bénéfice des pèlerins retenus par le Qatar.
L’Etat du Qatar via le ministère des Legs et des Affaires islamiques, pour la rassurer que sa demande était tombée dans de grandes oreilles, lui a adressé un courrier en date du 11 novembre 2011 que «L’Eléphant» a pu consulter et dont la teneur suit : «Je vous informe que sa majesté l’Emir du Qatar a marqué son accord pour votre requête de la prise en compte de 66 pèlerins de la République de Côte d’Ivoire et de la république démocratique du Congo dans le cadre de la générosité de l’Emir. Sa majesté l’Emir du pays a donné des instructions pour la prise en charge des pèlerins. Compte tenu du temps pour les procédures administratives, il présente ses excuses pour l’édition en cours. Cependant, ces pèlerins seront pris en compte en priorité, pour l’édition 2012 du Hadj». Signé, Kaled Ben Akawar, directeur de cabinet par intérim du ministre. Ayant le coeur sur la main, la bonne dame décide, sans aucune arrière pensée, de mettre l’argent à la disposition des pauvres au nom desquels elle a fait la démarche. Pour cela, elle joint ses contacts à Abidjan, dont une magistrate hors hiérarchie.

Le fax de l’Ambassade du Qatar à l’Ambassade de Côte d’Ivoire à Riyade à Riyade (Arabie Saoudite)
Croyant bien faire, elle rentre en contact avec le représentant de la République de Côte d’Ivoire près le Royaume de l’Arabie Saoudite, l’Ambassadeur Touré Vazoumana. Lequel a présenté ses lettres de créance au Roi Abdallah Ben Azhziz, en octobre 2011. A l’Ambassadeur, elle fait part du don de l’Emir. Avant de mettre l’argent à sa disposition, afin qu’il le fasse transiter par le compte bancaire de l’Ambassade pour arriver à Abidjan où il devrait permettre aux personnes sélectionnées (des pauvres) d’effectuer le pèlerinage à la Mecque.
Surpris par une telle démarche, l’Ambassadeur, selon notre source, interroge: «Mais pourquoi vous ne mettez pas l’argent sur votre compte personnel?» Réponse de dame A.A : «Ce n’est pas pour moi que j’ai fait les démarches pour obtenir cet argent. Je l’ai fait pour les Ivoiriens qui sont vraiment dans le besoin et qui n’auront peut-être jamais la chance de faire le Hadj». Devant cette réponse, l’ambassadeur promet à dame A.A de faire le nécessaire pour que l’argent parvienne au Trésor Public. Face à cette assurance, dame A.A. informe ses représentants à Abidjan et s’envole pour la RDC où elle mène d’autres activités humanitaires.

«Monsieur le Président, un don pour vous!»

Sauf que dès que l’argent atterrit entre ses mains, une belle idée germe dans l’esprit de notre Ambassadeur. Il se saisit de sa plus belle plume et adresse une belle lettre à la Présidence de la République. Qu’il informe de ce que l’Emir du Qatar vient de faire un don de 125 millions de FCFA pour le compte du Président afin que ce dernier puisse envoyer des membres du personnel de la Présidence de la République en pèlerinage.
La présidence salue ce don venu du ciel et remercie chaleureusement notre ambassadeur pour avoir réussi une telle opération. L’argent arrive effectivement sur un des comptes de la présidence de la République en mars 2012. Comment? Puisque, cette somme de 192.066 euros transférés par les autorités du Qatar devrait être logée sur le compte de la direction générale des cultes de Côte d’Ivoire, plus précisément sur le compte de la Régie Hadj N°CI650010010011500001094, logé à la BCEAO-Abidjan. Il est dit qu’après avoir affecté les 42 pèlerins à l’organisateur du Hadj auquel doit être versé le coût du Hadj ; il devrait être reversé à chaque pèlerin, pour servir de pécule, le reliquat éventuel au cas où le montant de la prise en charge unitaire (192.066 Euros par 42, qui fait 45673 Euros par pèlerin) serait supérieur au coût du Hadj à payer. C’est ce que précisent les autorités du Qatar. Bien dit!

Entre-temps, les représentants à Abidjan de dame A.A, dont la magistrate hors hiérarchie, mettent les bouchées doubles pour identifier d’abord les personnes pouvant bénéficier du don, puis, cela fait, ils effectuent les formalités nécessaires pour leur obtenir les papiers. Ainsi, les passeports des 42 personnes trouvées (toutes aux revenus insuffisants pour leur permettre de faire un jour le pèlerinage), sont déposés au ministère de l’Intérieur.
Mais laissons la magistrate hors hiérarchie revenir au début de l’histoire : «Il y a plus de 8 mois que j’ai été contactée par une de mes connaissances qui est une Ivoirio-libanaise. Elle est à cheval entre Abidjan et Dubaï. C’est ainsi qu’un jour, elle m’a apporté la bonne nouvelle de ce que des billets ont été gracieusement offerts par l’Emir du Qatar pour le pèlerinage de cette année à la Mecque, vu la désolation de plusieurs prétendants au pèlerinage l’an-née dernière, en me disant : j’ai des billets de bienfaisance que j’ai pu obtenir de l’Emir pour des pèlerins ivoiriens.
Avant de me demander si je pouvais l’aider à organiser cela du côté d’Abidjan». La magistrate va donc confier les démarches, sur indication de sa camarade, à Kalilou N’diaye, pour la représenter dans le suivi de ses voeux. Laissons aussi parler ce dernier : «Effectivement, lorsque nous avons été saisis, nous avons rassuré la bienfaitrice que nous souhaitions que les billets aillent aux personnes indigentes et non à ceux qui pouvaient s’octroyer un billet pour le Hadj, ce qu’elle a accepté. Nous avons donc fait la répartition du montant. Chaque personne devait recevoir la somme de 4,5millions FCFA. Pour que les pèlerins aient un séjour sans soucis, nous avons retenu ce montant et cela nous a permis de sélectionner 42 personnes».

«Mais Où allez-vous?»

Le lundi 24 septembre 2012, répondant au communiqué du commissaire du Hadj Cissé Losseni pour la distribution des kits aux candidats au pèlerinage, les 42 (quarante deux) protégés de Dame A. A.A., valises prêtes et la bénédiction de leurs proches obtenue pour le voyage saint, se présentent au Ministère de l’Intérieur. Mais, là, stupeur. Ils apprennent qu’ils ne sont pas concernés par le voyage. Et pourquoi? «Votre argent a été détourné», leur apprend-on. Détourné par qui, au profit de qui? «Les billets qui vous sont destinés ont été attribués au personnel de la Présidence de la république et les billets ont été déjà établis en leur nom».
Devant cette information, le sang de Kalilou N’diaye ne fait qu’un tour. Il se saisit de son téléphone et informe la magistrate : «Madame on vient de m’apprendre que l’ambassadeur de Côte d’Ivoire en Arabie Saoudite a mis à la disposition de la présidence de la République de Côte d’Ivoire, les 42 billets pour le Hadj 2012 ». Informée par la magistrate, dame A.A.A saute dans un avion et débarque à Abidjan le même lundi 24 septembre. Elle balance tellement de coups de fil que le ministre Hamed Bakayoko la reçoit en urgence.

«La Présidence a été induite en erreur»

Là, le ministre de l’Intérieur et ses services l’informent de ce que les passeports des 42 candidats au pèlerinage attendant les visas sont disponibles, mais que le dossier n’est plus entre leurs mains, bien qu’ayant reçu la liste des 42 personnes sélectionnées. «Ce dossier de don de l’Emir du Qatar est géré par la Présidence », conclut donc Hamed Bakayoko. En colère, et déroutée par une telle annonce, dame A.A.A. se rend à la Présidence de la République, tous les documents en mains. Là, elle reçoit confirmation des propos du ministre de l’Intérieur avant d’ajouter : «Nous avons été induits en erreur et nous réparerons le tort pour l’année prochaine. Les inscrits de la liste ne payeront plus pour la prochaine édition».
Sauf que cette façon de faire ne plait pas du tout à dame A.A.A. qui réagit: «Mais nous sommes à une semaine du départ pour la Mecque et ce sont des fidèles qui se sont déjà préparés. Que voulez vous qu’on raconte à ces pauvres gens?». Question sans réponse. Furieuse, dame A.A.A. sort de la présidence et passe d’autres coups de fil. Lesquels lui permettent d’obtenir un rendez-vous ferme avec l’une des soeurs du chef de l’Etat. Cette dernière la reçoit le mardi 25 septembre en présence du ministre chargé des affaires présidentielles. Ce dernier fait la même proposition que le directeur de cabinet adjoint : «Les places ont déjà été attribuées, toutes les dispositions seront prises pour que cela soit respecté, et mieux un engagement écrit sera pris pour signifier qu’ils seront déjà sur la liste de l’année prochaine », précise-til.
Mais dame A.A.A. fait une contreproposition plutôt raisonnable, surtout que d’ici 2013, Dieu seul sait les miracles qui peuvent se produire dans le pays. «Nous pensons que si la présidence reconnaît que l’Ambassadeur l’a induite en erreur, elle n’a qu’à rembourser la totalité de la somme aux différents pèlerins». Proposition sans réponse. Les deux parties se séparent. Hier jeudi, réunion à la Direction des Cultes, en présence d’un représentant du ministre de l’Intérieur, d’un représentant du ministère des Affaires étrangères.
L’affaire est sensible! Mais aucune proposition concrète n’est faite. A la sortie de la rencontre, Kalilou N’diaye, contacté par «L’Eléphant» s’est étonné de ce que la présidence de la République qui n’est pas à 125 millions près, ne soit pas en mesure de trouver cette somme pour permettre aux 42 personnes sélectionnées de se débrouiller pour faire leur pèlerinage cette année. «Cette une affaire de Dieu, ceux qui vont aller faire le pèlerinage à la places de ces pauvres gens savent que ce n’est pas leur argent. Ils ne seront que de simples touristes. La présidence peut rembourser cet argent pour permettre aux autres de faire leur pèlerinage».
Approché par «L’Eléphant», le ministère des Affaires étrangères n’a pas souhaité s’étendre sur l’attitude de l’Ambassadeur. Approchée également par «L’Eléphant», l’Ambassade d’Arabie Saoudite en Côte d’Ivoire, n’a pas également souhaité, bien qu’étant informée de l’affaire, s’étendre sur ses conséquences. Vu selon elle, que l’affaire ne la concerne pas directement. Du côté du Palais présidentiel, tous les coups de fils passés par «L’Eléphant» à la directrice de la Communication, sont restés sans réponse. Même le «SMS» envoyé à cette dernière, jusqu’au moment où nous mettions sous presse, n’avait pas connu meilleur sort. Mais, hier l’inconfort était encore total autour de cette affaire: au ministère des Affaires Étrangères de Côte d’Ivoire, au ministère de l’Intérieur, à la Direction générale des cultes et au Palais présidentiel. «Vive le Hadj»!
Voilà ce qui arrive quand un Ambassadeur veut s’attirer à tous les prix, les faveurs du Chef de l’Etat.

Hervé Makré in L’Éléphant Déchaîné

Mon, 01 Oct 2012 14:02:00 +0200

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