Pour la première fois depuis sa mise en liberté Mahan Gahé parle de sa vie en prison, de « dôni-dôni », aux chauffeurs de Gbaka…

Vous avez fait près de deux ans en prison, et vous avez été remis en liberté parce que la justice a prononcé un non lieu dans l’affaire vous concernant. Allez-vous porter plainte contre l’Etat pour exiger des dommages et intérêts ?

Mahan Gahé Basile : J’ai fait précisément 22 mois en prison. Je suis heureux de bénéficier d’un non lieu. Je vis dans une famille qui est la famille syndicale. C’est seulement elle qui dira ce que nous allons faire puisque quand on dit secrétaire général, on appartient à un groupe de travail qu’on appelle Dignité. Je ne peux pas, de mon propre chef, prendre une décision parce que j’ai souffert en prison. Mon rôle, aujourd’hui, c’est de dire merci à l’Etat de m’avoir libéré, merci au Président de la République et surtout au ministre de l’Intérieur qui a fait des pieds et des mains pour que nous soyons dehors. Je n’oublie pas mes amis de Williamsville. Je ne vais pas citer des noms. Comme ce sont des corps habillés, je n’ai pas envie qu’en voulant dire merci, ça se retourne contre eux. Merci à tous les corps habillés qui n’ont pas voulu me porter main. Beaucoup disaient que mon arrestation était d’ordre politique.

Qu’était-ce pour vous, puisqu’on vous reproche de faire la politique en inféodant votre centrale syndicale au Front populaire ivoirien (Fpi), parti de l’ex-président Gbagbo, et de claironner ses mots d’ordre?

Dignité n’est pas du tout inféodé au Fpi. Vous nous avez vus assister aux réunions des instances du Fpi ? Savez-vous d’où vient le Rdr (ndlr, Rassemblement des républicains dont est issu le Président de la République) ? Il est parti du Front républicain. Ce n’était pas un parti politique. C’était une organisation qui cherchait la liberté des Ivoiriens qui se bagarraient pour la démocratie. Nous avons cautionné les associations qui ne sont pas des partis politiques. Soro Guillaume (Ndlr, actuel président de l’Assemblée nationale) est témoin, je suis un membre fondateur du Front républicain. Ce n’est pas pour autant que je suis au Rdr.

Quand le Président Alassane Ouattara, tenait son discours des Etats-unis sur écran géant, au stade Houphouët Boigny lors d’un meeting (ndlr, il y a une vingtaine d’années), j’ai pris la parole. Quand le Rdr a été créé, nous, on s’est mis de côté. Le Front républicain n’existe plus. Il y a eu le Cnrd (Ndlr, Congrès national pour la résistance et la démocratie) qui n’est pas un parti politique. Dignité est membre fondateur du Cnrd. Je suis un vice-président. Je suis le mot d’ordre du Cnrd. Quand on marchait pour que des membres du Rdr détenus soient libérés, Mahan Gahé n’était pas mauvais. J’étais à l’inhumation de Djeni Kobenan. Nous sommes toujours à la recherche de la liberté et de la démocratie. Nous sommes partout où les libertés sont bafouées.

Faites-vous alors de la politique politicienne quand les libertés sont bafouées ?

Un syndicaliste est un citoyen comme tout le monde. Quand on quitte notre siège où il y a des militants du Rdr, Fpi, Pdci, et autres, chacun va dans son parti politique. Je n’ai jamais demandé à un militant de notre Centrale pourquoi il a pris part à une réunion de son parti. C’est son droit. Mais nous, en tant que Centrale, il y a des mots d’ordre que nous lançons.

Justement, vous avez porté la casquette de politicien en appelant, aux dernières élections présidentielles, à voter pour l’ex-président Laurent Gbagbo?

Lors des périodes électorales, nous regardons les programmes de gouvernement. Si un programme nous convient, nous demandons à nos militants de voter ce candidat. Est-ce parce ce qu’en France, Thibault de la Cgt a donné le mot d’ordre de voter Hollande qu’il est en prison ? Nous parlons le Français, imitons donc les Français jusqu’au bout. Le rôle du syndicat est d’être le contre-pouvoir de l’Etat. C’est pourquoi, le syndicaliste a le droit de critiquer les actes posés par le Gouvernement, sans insulter. On ne doit pas induire le Président de la République en erreur pour que les gens se révoltent contre lui. On peut dire que le pouvoir d’achat est élevé, à l’aise. Le syndicaliste fait de la politique sociale pour améliorer les conditions de vie et de travail des travailleurs. Ça gène toujours le Gouvernement.

Mais vous, vous n’avez pas critiqué l’actuel Gouvernement quand vous avez été arrêté. Ne sont-ce pas vos activités politiques qui vous ont valu des ennuis, au point d’aller en prison ?

Je ne veux pas retourner le couteau dans la plaie. Je risque de faire ce qu’on me reproche. Même si lorsque j’ai été arrêté, j’ai souffert, j’ai été gazé, ils ont tiré entre mes jambes, je pardonne. Ce n’est pas Dignité qui ne va pas aussi aller dans le sens de la réconciliation. On m’accuse d’avoir distribué des armes. Si je dis à mes militants, telle personne m’a fait ceci ou cela, ils risquent de se venger. Parmi eux, il y a des incontrôlés qui peuvent faire du mal. Je ne veux pas que ça arrive. La Côte d’Ivoire a trop souffert et nous sommes toujours en train de souffrir, surtout le monde du travail. Allons tous vers la réconciliation. Pour cela, il faudrait que moi qui ai subi des humiliations, je sois le premier à pardonner pour que les autres suivent mon exemple.

Le pardon empêche-t-il de savoir ce qui s’est passé ?

Le 26 avril 2011, on est venu me prendre à la maison. La question me permet de clarifier quelque chose. Dites à tous mes amis que leur secrétaire général a été pris chez lui à domicile, à la Riviera Golf, entre 16 et 17h. Jamais on ne m’a pris, kalach à la main, à Yopougon, contrairement à ce que les gens véhiculaient dans les entreprises et partout. Pour mon cas seulement, le ministre a été très mal informé. Deuxième chose, quand vous m’appelez ”le général”, ce n’est pas le général de l’armée. Je n’ai jamais pris d’arme dans ma vie. Je n’ai jamais eu de fusil dans ma vie.

Pourtant, vous avez été arrêté. Combien d’agents des forces de l’ordre étaient allés chez vous?

Il y avait douze à quatorze véhicules. Ils ont entouré mon immeuble, ils sont entrés, ils ont commencé à casser mes vitres. Moi-même, on a commencé à me cogner dessus. Ils ont mis une bâche sur ma tête et ils m’ont conduit au 34ème arrondissement, route d’Alépé. Après, j’ai été sauvé par un de leurs chefs qui a demandé qu’on ne me fasse pas de mal. Quatre jours après, ils m’ont emmené dans son bureau. Il m’a appris avoir entendu que j’ai pris des armes. J’ai dit non. Il a demandé de lui montrer ma main. J’ai tendu mes mains. Il les a touchées et a conclu que je n’ai pas pris d’armes. C’est là que j’ai appris que quand on prend des armes, la paume devient dure. Pour me protéger, il a promis de m’ emmener à Williamsville. Mais il a demandé que je me fasse inscrire au Golf (Golf hôtel, Ndlr). Ce qui a été fait. A Williamsville, j’ai eu la chance. Je profite de l’occasion pour remercier tous les chauffeurs de gbaka qui étaient des éléments des Forces républicaines de Côte d’Ivoire (Frci). Ceux-là m’ont protégé.

En quoi faisant ?

Ils ont dit que j’étais leur général de syndicat. Certains ont rappelé que c’est grâce à moi que les contraventions n’excèdent plus 2000 francs Cfa. Selon eux, avant que je ne conduise une délégation chez le Président Bédié, à l’époque, les contraventions étaient à 5, 10 ou 20 mille francs Cfa pour les gros camions. J’étais devenu leur vieux père. Comme ils sont nombreux à être dans ma zone puisque mon siège est à Adjamé, ils me connaissent. Ils venaient me saluer jusqu’à ce qu’on me conduise à la Pergola, puis à Boundiali où nous sommes resté dix huit ou dix neuf mois.

De quoi était fait votre quotidien en prison ?

Je refuse de remuer le couteau dans la plaie. Je vous prie de respecter ce que j’ai dit.

Si vous avez souffert en prison, comme vous l’avez relevé tantôt, cela suppose que la vie y était pénible, n’est-ce-pas ?

Regardez ma forme. Je suis un sportif. Quand j’étais à l’Université à Bruxelles, je faisais facilement les 20 et 30 kilomètres, en courant. Aujourd’hui, je ne peux même pas faire 500 m parce que dans la prison, j’étais toujours assis dans le même coin. L’espace n’était pas grand. Je ne pouvais pas me mouvoir comme je le faisais, quand j’étais dehors. Quand j’étais dehors, je jouais au maracana avec mes enfants, je m’amusais à aller courir sur la route de l’Université, sur la route de Bingerville. Je ne pouvais pas le faire en prison. J’ai donc commencé à prendre du poids et ça, c’est dangereux. Tout commence à grossir sur soi quand c’est comme ça. Il y avait également les soucis.

Mahan GaheQuand vous êtes dedans et qu’on vous dit que vous n’avez plus de village, ceci ou cela, que voulez-vous qu’on devienne ? Vous mourrez de soucis. Moi qui vous parle, je n’ai plus de maison au village alors que j’avais une belle villa. Mon village a été brûlé. Ce n’est pas bon quand on encaisse ça dans la prison. Notre quotidien, c’était surtout la prière. On passait plus de temps à prier. Que le Gouvernement m’excuse. Surtout le ministre de l’intérieur. Qu’il fasse tout pour libérer ceux qui sont dedans parce que tous ceux qui étaient là-bas, il n’y a pas un qui a l’idée de vengeance ou de guerre, à moins que l’Etat dise qu’on a découvert des kalach chez eux. Tous ces gens ont envie de participer à la construction du pays.

Tous les chocs que vous avez subis ont certainement provoqué en vous des maladies. N’est-ce pas ?

Bien sûr.

Vous vous êtes rendu à la Pisam (Polyclinique), qu’est-ce que les médecins ont diagnostiqué ?

Ils ont dit que je me portais bien. Je ne vous mens pas. J’ai fait un bilan complet, quand je suis sorti de prison. J’ai dit Dieu merci. Sinon dedans, j’ai eu toute sorte de maladie. Je n’étais pas habitué à tout ce que je vivais. J’étais habitué à vivre avec ma petite famille et mes amis.

Lorsque vous êtes arrivé au bureau, vous avez laissé entendre à vos collaborateurs que vous allez continuer à vous faire soigner. Pourquoi, si vous n’êtes pas malade ?

Je suis protégé sur le plan international. Je peux vous présenter ma carte qui me permet de me soigner partout, dans le monde. Les hôpitaux à Abidjan ne sont pas performants comme à Paris ou à Bruxelles. D’habitude, je me soigne à Bruxelles ou à Génève. Mes médecins sont là bas. Je demande à mes camarades de me permettre de bien revoir ce qui est fait, de bien me soigner et puis je reviens en toute sécurité. Il faut que j’en profite. Vous pouvez toujours faire une contre-visite, si un médecin vous a ausculté. Sur le champ même, le médecin peut se tromper.

Quel sera maintenant votre nouveau combat ?

Je viens d’arriver. Mes collaborateurs me feront le point et nous allons poursuivre ce qu’ils ont commencé.

Avant votre arrestation, il était question de faire passer le Smig de 36 700 à 60 000 francs Cfa. Les choses n’ont pas évolué. Que comptez –vous faire quand on sait que les prix des produits ont pris l’ascenseur sur le marché ?

Il faut d’bord qu’on obtienne les 60 000 francs Cfa. En syndicalisme, quand tu revendiques quelque chose, prends d’abord ce qu’on te donne. Tu attends deux ou trois jours et puis tu revendiques encore. Poliment, je vais arriver devant le ministre d’Etat, ministre de l’Emploi, de la solidarité et de la formation professionnelle, M. Dosso Moussa. Et je vais lui demander de voir ce qui n’est pas encore fait. Celui qui est le ministre du Commerce, aujourd’hui, c’est Jean Louis Billon, un ami. Il faut que mon staff me donne la feuille de route.

Votre retour fera certainement la joie des épargnants qui vous accusent d’avoir détourné l’argent de la micro-finance Dôno-Dôni. Qu’en pensez-vous ?

C’est la justice seule qui peut parler de détournement. La somme varie d’un jour à l’autre. J’ai été déjà convoqué en justice. Des journaux parlaient de détournement de trois milliards de francs Cfa. Je tombais des nues. Je suis obligé de répondre, quand on parle de Dôni-Dôni parce que l’idée vient de moi. Est-ce qu’il y a eu des victimes ? Oui, malheureusement.

Comment est-ce que cela a-t-il pu arriver ?

Je suis moi-même victime. Il en est de même pour mes collaborateurs. Jeudi (14 mars 2013, Ndlr), je suis convoqué à la brigade de recherche par rapport à cette affaire. Je ne pourrai donc pas me prononcer en profondeur sur le sujet avec vous. Le projet a réussi partout. Prenez l’exemple des femmes auxquelles j’ai offert la broyeuse pour leur attiéké à Yopougon. Elles travaillent et je ne me mêle pas de leur travail. J’étais à la tête d’une structure internationale qui finance. La même chose que j’ai faite en Côte d’Ivoire, je l’ai faite en Guinée, au Mali, au Burkina, au Togo, au Bénin et ça marche. Ils ne peuvent pas dire que parce que j’ai fait un discours le jour de l’installation, donc il faut m’accuser quand il y a un problème. Quand on crée la structure, on laisse les nationaux mettre en place leur administration. Je ne comprends pas comment cela a été élargi aux étudiants. Je n’ai pas géré Dôni-dôni.

Quel était votre objectif ?

C’était pour aider les travailleurs. Je ne veux pas dénuder ce que je vais dire à la brigade de recherches.

Quelle appréciation ou analyse, faites-vous du processus de réconciliation et de paix en cours?

Pour la réconciliation, déposons les armes. Allons, l’un vers l’autre pour collaborer afin que ce pays ne soit pas dépassé par tous les pays qui nous entourent. J’ai pitié pour nos étudiants. J’ai pitié pour les diplômés, les entreprises qui ne tournent pas, du Gouvernement. Je viens de prison. Il faut libérer tous les prisonniers politiques sans exception. Ce sera un acte qui fera que les gens seront fous de joie. Celui qui est en prison peut apporter une proposition qui va aider le pays. Et puis, faisons de telle sorte que la politique s’occupe de la politique et les autres institutions des leurs. Dans un pays où on ne se parle qu’avec un pistolet ou une kalach, il y a toujours des problèmes. Quand on tue quelqu’un, c’est la Côte d’Ivoire qui recule. Facilitons la tâche à ceux qui sont en exil pour qu’ils rentrent. Vous allez voir. Ils vont applaudir ceux qui gouvernent. Qu’on laisse tranquilles les gens gouverner. Sur cinq ans, il a déjà fait bientôt deux années pleines. La dernière année est celle des élections. Il reste donc deux ans. Ce n’est pas pour cela qu’on va fomenter des coups. Je dis non. Il ne faudrait pas que l’Ivoirien ait peur de l’Ivoirien. C’est trop dangereux pour l’avancement de notre Economie. Merci à tous les Ivoiriens et que Dieu nous bénisse.

Réalisée par Dominique FADEGNON
In Soir Info

Tue, 19 Mar 2013 01:06:00 +0100

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